• Le tracé,

     

    Tracé du parcours, cartes détaillées, les étapes, l'itinéraire prévu.

     

    plus détaillé, en 3 parties.

     

    Tracé du parcours, cartes détaillées, les étapes, l'itinéraire prévu, .

     

     

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    Les étapes

    Lundi 5 juin    GIGNAC - Aigues-Mortes 0          km 127      km
    Mardi 6 Aigues-Mortes  - Fleury 122 249
    Mercredi 7 Fleury - Marquixanes (Prades) 146 395
    Jeudi 8 Marquixanes - Organyá 140 535
    Vendredi 9 Organyá - Mequinenza 166 701
    Samedi 10  Mequinenza - Escatrón 67 768
    Dimanche 11 Escatrón - Daroca 121 889
    Lundi 12 Daroca - Sacedón 174 1063
    Mardi 13 Sacedón - Ocaña 133 1196
    Mercredi 14 Ocaña - Toledo 65 1261
    Jeudi 15 Toledo - Alcázar de San Juan 151 1412
    Vendredi 16 Alcázar de San Juan - Puebla del Príncipe 137 1549
    Samedi 17 Puebla del Príncipe  - Jódar 142 1691
    Dimanche 18 Jódar  - GRANADA 112 1803 (*)

     

     (*) D'après mon compteur (et la carte, quand l'électronique a craint l'humidité), 1800 kilomètres effectués, au lieu des 1700 prévus. Je pense que le compte est bon, compte tenu des erreurs, des écarts...

    Nous avons fait une moyenne journalière de pratiquement 130 kilomètres, ce qui dans les conditions où ils ont été réalisés, était largement suffisant !

     

     


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  • l’Andalousie, ce soir, nous fait la fête … ¡ Arriba Granada !1

     

    Le vent a soufflé toute la nuit.
    Par trois fois, je me suis levé, pour boire.
    Lorsque j’ouvre, ce matin, le vent n’a pas cessé ; il balaye la rue ; les détritus, papiers, gobelets, abandonnés hier soir, filent à toute allure. C’est l’horreur, les déchets vont à contresens de notre chemin. Le vent persiste et signe : sud-nord !
    Le patron nous a dit hier, lorsque nous l’avons averti de notre heure de départ, que le bar n’ouvrait qu’à huit heures. Arrivés au rez-de-chaussée, à l’heure sonnante, les bras pleins de sacoches et autres ustensiles, il n’y a personne, le bar est fermé ! Alors qu’on charge nos vélos, voilà quelqu’un qui émerge, plutôt mal réveillé !
    Il est à l’heure ; à peine a-t-il ouvert son bar que le premier client arrive. L’homme est attablé, un petit verre d’alcool devant lui ; quelle est son histoire, quel est son parcours ? Connaît-il quelqu’errance ?
    N’appréciions-nous pas, Stéphane et moi, hier, devant une bière fraîche, l’instant présent ? Chacun sa route, chacun son chemin ; j’aimerais bien, cependant, pouvoir entendre le message de ce voisin…

    Le petit déjeuner est bref ; un chocolat de bonne consistance, deux madeleines de style riquiqui et nous voilà dehors ; il est à peine plus de huit heures.
    La grand-rue est déserte, le vent s’y engouffre et balaye tout sur son passage, la température a chuté.
    Nous avons l’impression de passer dans un village abandonné, l’atmosphère est sinistre. Mes jambes ont du mal à se mettre en marche, mes fesses refusent la selle, le démarrage est très lent.
    « No hay boda sin tornaboda. »2

    A la sortie de Jódar, un bout de bretelle nous ramène sur la A301 quittée hier en arrivant, celle-ci entre-temps a décrit un demi-cercle pour éviter l’agglomération.
    Les oliviers grimpent, la route aussi, nous avons toujours en point de mire les sommets de la sierra de la Cruz, les plus hauts se situent à quinze cents mètres.
    Les oliviers frémissent, moi aussi, ils me donnent la chair de poule ; le vent et la pente sont contre nous ; je suis contraint de pédaler d’entrée avec mon 30x24. Même les ombres des arbres, bien distinctes sur les terres labourées, ont du mal à s’accrocher…

    Nous avons cent deux kilomètres à parcourir pour voir Grenade, en ce quatorzième et dernier jour ; enfin une étape raisonnable !
    « A camino largo, paso corto. »3 Pourquoi ne pas nous l’être appliqué plus tôt ?


    1- Vive Grenade !
    2- Il n’y a pas de fête sans lendemain (boda = noces)
    3- Qui veut voyager loin, ménage sa monture


    Nous traversons aujourd’hui la province de Jaén, nous l’avons entamée depuis hier, après celle de Ciudad Real.
    Les quelques nuages du début de matinée se sont dissipés, l’Andalousie se pare encore, en ce dimanche, d’un ciel azuré.
    Les mécaniques sont maintenant décoincées ; dans l’ascension, prendre son mal en patience et bien enrouler…
    Les parois de la montagne se rapprochent de nous, le vent tourbillonne et on finit par l’avoir de tous bords sauf, manque de chance, de celui qui nous intéresse.

    Une station-service ici, au bout de cette montée, tient du miracle et vient à pic, pour nous, en ce milieu de matinée. Il faut nous ravitailler sans plus tarder ; le premier village, ce matin, sera Guadahortuna, distant de Jódar de quarante et un kilomètres !
    La station est flambant neuve, comme la route qui nous y a amenés. Déserte était la route, déserts sont les abords des pompes à essence. Le bar est une merveille, tant par ses finitions que par sa netteté. Il n’est plus désert, un homme est au comptoir qui prépare deux bocadillos de jamón, deux cyclos sont attablés devant una cerveza et une assiette de tapas ; déjà !

    Pour continuer, nous dévorons des kilomètres de descente jusqu’à la route de Huelma. La nôtre continue et nous propose la Cuesta los Gallardos, une bifurcation qui passe par un col perché à mille cent quatre-vingts mètres ! Nous refusons l’invitation malgré l’intérêt que nous portons aux petites routes ; mais même en traçant droit, la A301 amorce une remontée. Entre deux bosses, nous avons, je pense, choisi la moindre.
    Nous avons perdu le río Jandulilla avec lequel nous avons flirté longtemps au plus haut de la sierra de la Cruz.

    Je crois que cette fois, nous avons perdu tous les nords…

    Le vent semble s’être calmé ou alors nous en sommes protégés !
    Dans la descente sur Guadahortuna, je laisse aller la monture et je m’offre quelques instants de position jockey, debout sur les étriers… J’ai l’impression de chevaucher mon Pégase, les ailes déployées.
    Les cultures ont quelque peu pris la place des oliviers que nous avons laissés là-haut sur la montagne.
    D’une descente, nous repartons en montée.
    Après Guadahortuna que nous n’avons pas vue parce que la route ne fait que la frôler, nous poursuivons par la A323 qui laisse aussi sur le côté El Navazuelo.
    A nouveau une longue côte, de longs kilomètres qui s’égrènent péniblement mais maintenant, le moindre petit bout de route que nous laissons derrière, nous rapproche grandement de l’arrivée.
    Puis nous avalons, toujours aussi seuls, la distance, plus favorable, qui nous sépare de la A340. Nous empruntons un court instant cette nationale, elle va se jeter sur la grande N323 qui n’est autre que l’autopista qui relie Madrid à Grenade. Depuis hier, le tracé de notre route reste parallèle, mais à distance, de cette grande voie. On ne pourra pas éviter cette autopista pour rentrer dans Grenade mais en attendant, on bifurque sur la gauche pour Iznalloz, kilomètre soixante-cinq de ce dimanche matin. De là, une petite route, non numérotée – tellement petite qu’elle en est inquiétante, au regard de la carte – nous rapprochera du terme de notre voyage.
    Iznalloz était bien placée sur notre parcours pour la pause repas mais l’heure et les renseignements glanés ici à propos de la petite route qui évite, sur une douzaine de kilomètres, la N323, nous encouragent à rallonger, d’autant que notre état, et c’est tout à fait surprenant, est encore potable.
    Iznalloz est une petite ville, il est midi ; à la recherche de notre chemin, nous nous sommes arrêtés près de l’église, il y a foule.
    Un attroupement se forme autour de nous. Des jeunes, des moins jeunes, voyant que nous sommes en conversation avec leurs coreligionnaires, rappliquent.
    Leurs visages s’illuminent, je vois leurs yeux émerveillés devant les deux pédaleurs que nous sommes.
    « ¡ Vienen de Marsella ! »1
    Ils détaillent nos machines, nos bagages, veulent tous adresser la parole à ces deux voyageurs au long cours, à bicyclette.
    Nous n’aurons pas de mal à trouver notre route, nous avons profusion d’indications.
    A Deifontes, « hay para comer »2. Celle qui nous enchante le plus, c’est « todo llano a lo largo del río »3.

    La route chemine le long du río Cubillas, la voie ferrée nous a retrouvés et nous accompagne sur ces derniers kilomètres.
    Il est environ treize heures lorsque nous arrivons à Deifontes. Le restaurant qu’on nous a indiqué est trop bien pour nous ; il nous faut monter haut dans le village pour trouver un bar. Ça a l’air d’embêter le patron et la patronne de faire la cuisine, alors derniers bocadillos pour le dernier repas avant la fin de ce voyage.
    Avant de quitter Deifontes et de prendre la dernière carretera, j’appelle nos supportrices pour leur indiquer notre heure d’arrivée, que je situe vers seize heures.
    Ce soir, la femme du cyclo dormira sur ses deux oreilles…
    Il nous reste un petit tronçon de route, entre le rail et le río, avant d’arriver sur l’autopista puis vogue la galère... ce qui doit nous faire une trentaine de kilomètres.
    La voie ferrée nous serre d’un peu plus près. A trop vouloir nous frôler, nous finissons par lui passer dessus.

    Nous sommes tout petits sur les quatre voies de la N323 qui nous emmène, sous le soleil, vers Grenade.
    Les voitures sont rares, à cette heure-ci, les Espagnols s’apprêtent à déjeuner ; aujourd’hui, nous les avons précédés. Loin devant, légèrement sur l’est, se dresse un imposant massif, c’est la sierra Nevada. Une sierra de plus me direz-vous ! Mais celle-là, c’est le top des sommets, une dimension autre que celle des chaînes de montagnes que nous avons croisées ! Comme son nom l’indique, elle est enneigée, ses plus hauts pics avoisinent les trois mille cinq cents mètres, la neige y est éternelle.

    Ce dernier tronçon est vallonné mais restera facile, et puis maintenant, rien ne presse…

    Nous allons les regretter ces carreteras, elles nous ont adoptés, nous ont permis de dérouler nos rêves malgré quelques fois des éléments perturbés pour nous ramener à la réalité...

    1- Ils viennent de Marseille !
    2- On peut trouver à manger
    3- tout plat le long de la rivière


    J’aperçois sur notre gauche les premières maisons aux dômes blancs, vestiges d’un long passé arabe. Je me revois quelques années en arrière, émerveillé, un après-midi d’octobre, alors que j’arrivais en autocar, vingt heures après être parti de Marseille. Cette image m’est restée.
    Granada, ¿dime si de mí te acuerdas ?1

    L’homologue espagnol d’un de nos grands supermarchés est toujours là, pas très loin de la estación de autobuses2, nous entrons dans la ville, il n’est pas encore seize heures.
    Ici, j’ai de bons points de repère, pour y avoir tournicoté, surtout lors de mon premier séjour.
    Pour augmenter mon plaisir, je prends San Juan de Dios, Gran Capitán, Emperatriz Eugenia ; je voudrais ensuite emprunter la calle Pedro Antonio de Alarcón, célèbre pour sa fréquentation nocturne – ici, on fait « la marcha »3 – mais je la rate ! Stéphane suit sans rien dire, il se laisse conduire, il visite ! Et nous nous retrouvons Camino de Ronda, c’est-à-dire sur le boulevard extérieur qui n’est toutefois pas la monstruosa circunvalación4 !
    La circulation était très fluide aux abords de la ville, elle l’est aussi dans ces grandes rues que nous empruntons et puis aujourd’hui, c’est dimanche, les conducteurs sont plus détendus…
    Maintenant, il nous faut remonter vers le centre ville, direction la cathédrale. Au premier feu, pied à terre pour traverser la grande artère, et nous remontons Sócrates. Première à droite et nous voilà calle Tablas ; je reconnais le bel hôtel Reina Cristina.
    Au bout de Tablas, à l’angle de la plaza de la Trinidad, j’aperçois, à une cinquantaine de mètres, attablées sur la terrasse du bar accolé à l’hôtel Zurita – le Guerrero café - deux têtes bien connues.
    Il est seize heures, presque sonnantes.
    J’aurais bien aimé un dernier « tango » ; pas de problème pour la cerveza mais je n’arrive pas à expliquer à la serveuse ce qu’est la grenadine…

    La jeune patronne de l’hôtel nous ouvre les portes du garage, nous défaisons nos sacoches pour la dernière fois ; mon compteur s’est arrêté sur cent douze, que je n’efface pas…

    Ce soir, sur une autre terrasse, cette fois plaza Bibarrambla proche de la cathédrale, je savoure l’instant, je laisse encore et encore tremper mes lèvres dans ma cerveza fresca5.
    Au milieu de la place, un chapiteau, l’Andalousie chante et danse…
    Grenade est toujours aussi belle.
    Demain est programmée l’ascension de la Cuesta de Gomérez, à partir de la plaza Isabel la Católica. Cette grimpette ne sera pas trop dure pour nous, elle est courte ; le minibus nous montera au palais de l’Alhambra, forteresse-palais des derniers souverains arabes qui domine la ville.

    Tu vois Cécile, ¡ aquí estoy !6

    1- Grenade, dis-moi si tu te rappelles de moi ?
    2- gare routière
    3- la fête, la nuit
    4- l’infernal boulevard de ceinture
    5- bière fraîche
    6- ici, je suis !

     

     

    Dimanche, 18 juin 2000. Un chapiteau, au centre de la plaza Bibarrambla ; l’Andalousie, ce soir, nous fait la fête … ¡ Arriba Granada !1

    Même les ombres des arbres, bien distinctes sur les terres labourées, ont du mal à s'accrocher...

     

    Dimanche, 18 juin 2000. Un chapiteau, au centre de la plaza Bibarrambla ; l’Andalousie, ce soir, nous fait la fête … ¡ Arriba Granada !1

    L'Andalousie se pare encore, en ce dernier dimanche, d'un ciel azuré.

     

    Dimanche, 18 juin 2000. Un chapiteau, au centre de la plaza Bibarrambla ; l’Andalousie, ce soir, nous fait la fête … ¡ Arriba Granada !1

    Au bout de Tablas, à l'angle de la plaza de la Trinidad... j'aurais bien aimé un dernier tango...

     

    Así pasaron los días.1

    Mon rasoir, lui, a retrouvé son aspect d’origine ; j’ai, depuis, renouvelé la grille ; cette fois, j’en ai trouvé une grise.
    La savonnette Mariblanca est toujours à la même place, elle ne m’interpelle plus de la même façon.

     

    Ecriture achevée le 13 mars 2003.

     

     

     

    « On ne peut pas connaître un pays par la seule science géographique. On ne peut rien connaître par la simple science, c’est un instrument trop exact et trop sûr. Le monde a mille tendresses pour lesquelles il faut voyager pour les comprendre avant de savoir ce que représente leur somme.
    Seul le marin connaît l’archipel. »

    Jean GIONO

     


    « Caminante, son tus huellas
    el camino y nada más ;
    caminante, no hay camino,
    se hace camino al andar.

    Caminante, no hay camino,
    sino estelas en la mar… »2

    Antonio MACHADO

     

    1- Ainsi passèrent les jours

    2- Voyageur, le chemin
    ce sont les traces de tes pas et c'est tout ;
    Voyageur, il n’y a pas de chemin,
    le chemin se fait en marchant.

    Voyageur, il n’y a pas de chemin,
    rien que des sillages sur la mer…


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  • il faille encore tant souffrir !

     

    Un petit vent est déjà levé à sept heures trente, le soleil aussi, mais le fond de l’air est fresquito1.
    L’unique bar, qui était fermé lors de notre promenade nocturne, est ouvert depuis six heures, probablement pour les ouvriers agricoles… Ils ont démarré tôt ce matin, c’était effectivement vers six heures, j’ai entendu des moteurs démarrer. Les foins n’attendent pas. Ils étaient couchés tôt aussi, hier soir…
    La télé, c’est de circonstance, brame déjà.

    Instants d’effroi tout à l’heure, au moment d’aller récupérer nos machines ; à peine aux abords de la porte du garage, de méchants aboiements nous arrêtent !
    « Les enfoirés ! Ils ont enfermé leurs chiens là-dedans, hier soir, sans nous prévenir ! »
    Il faut dire que nous les avons rangées où nous avons pu et comme la première partie était particulièrement encombrée, d’une part, et que d’autre part nous ne voulions pas qu’elles soient trop en évidence, elles étaient dans un recoin, à l’abri des regards… les proprios ne pouvaient les voir et n’ont pas dû se rappeler.
    Au gros féroce, je parle en français, bien derrière la porte ; cela n’a pas l’air de l’amadouer. Alors j’essaye l’espagnol, « ¡ tranquilo el perrito ! »2.
    Tant pis, on prend des risques ! Je pousse la porte délicatement ; finalement, ils ne sont pas si méchants, ils reculent légèrement, ils sont même plutôt apeurés. C’est vrai que deux grands gaillards comme Stéphane et moi, dont un en rouge et blanc, ça en jette !

    Après un café et deux ridicules madeleines car le bar n’a pas encore été approvisionné, nous enfourchons nos vélos et rebroussons chemin. Nous allons redescendre vers Villamanrique, et ce, durant les sept kilomètres gravis hier soir.
    Nous quittons Puebla del Príncipe, un havre de paix ; il est huit heures ; c’est notre avant dernière étape.

    Nous sommes seuls sur la CM3202 ; il fait bon rouler, à la fraîche, sous un ciel céleste qui ne se lasse jamais du bleu.
    Nous récupérons Villamanrique et notre tracé laissés hier soir.

    Les cultures s’estompent pour laisser la place à des chênes, des buissons ; de petites forêts coiffent les sommets. La sierra nous reprend, nous chevauchons sur ses hauteurs.
    J’ai beau scruter tous les horizons, je ne vois pas de cerfs ! Dommage ! Par contre, que de petits lapins, de perdreaux et perdrix qui détalent, sans trop de panique cependant, leur frayeur est passagère. Là, la perdrix fait un petit bond de deux mètres, pour se mettre à l’écart, puis nous regarde passer… Le gibier foisonne.

    La route est étroite, mais belle ; elle est à nous. Le vent d’est reste léger en cette matinée.

    1- frais
    2- calme, le petit chien !


    Je m’arrête pour fixer un tableau bucolique à deux pas de notre chemin ; un berger et ses moutons. Droit sous un grand chêne, appuyé sur son grand bâton, il fixe son troupeau ; l’herbe est dorée.
    Une retenue d’eau sur notre droite, pas étonnant que le gibier prolifère !
    Dans le paysage de ce début de matinée, si ce n’est cette route qui serpente, la nature est restée à l’abri de la société des hommes, propre.

    Nous empruntons successivement la CM3129 et la J6200 jusqu’à Venta de los Santos, la J6210 jusqu’à Montizón, la J6140 jusqu’à Aldeahermosa et la J6130 jusqu’à Castellar de Santisteban. Ces villages sont déserts, en ce samedi matin ainsi que toutes ces petites routes qui les relient, pas le moindre petit pot d’échappement pour nous salir l’air…
    Vingt-neuf kilomètres sans habitation et âme qui vive ; des moutons veulent nous empêcher de rentrer dans ce premier hameau, mais le berger les rappelle à l’ordre.
    Il n’y a guère d’attroupement autour de ce marchand ambulant ; une seule cliente, à la recherche de ses plus beaux légumes, à l’entrée du village de Venta de los Santos.
    Montizón a une bien jolie place. Le río du même nom prend sa source ici, il n’est pour l’instant qu’un filet d’eau.
    Nous laissons Aldeahermosa sur les flancs sud de la montagne et arrivons à Castellar de Santisteban ; nos estomacs sont pris de contractions ; cela fait deux heures et demi que nous pédalons sur un parcours plutôt descendant mais accidenté. Cette fois, le village est accroché sur les flancs nord des hauteurs opposées. Une côte sévère nous sépare des premières habitations ; Stéphane est d’accord pour poursuivre jusqu’au prochain village qui se trouve à huit kilomètres, nous nous rassasierons là-bas.

    Les petites routes empruntées ce matin étaient en bon état, mais la A312 sur laquelle nous nous trouvons maintenant est une classe au-dessus, elle est très roulante et nous nous précipitons vers notre halte. Onze heures quinze, nous avons parcouru cinquante-neuf kilomètres, nous sommes à Santisteban del Puerto ; il est grand temps de nous mettre quelque chose sous la dent et surtout, calmer nos estomacs. La chaleur est maintenant de la partie et il commence à faire soif.
    Santisteban est un village plus important que les précédents, d’aspect agréable. Près d’une grande place, aux lauriers éclatants, avenida de Andalucía, un beau bar nous accueille.
    Avec la première caña, le jeune serveur nous a apporté une assiette contenant deux tranches de pain avec sur chacune, deux belles tranches de jambon cru et sur le pourtour, des amandes grillées salées.
    Avec la deuxième – la première était riquiqui – nouvelle assiette avec deux tranches de pain, une tranche de tomate, du hareng, des olives cassées.
    ¡ Olé Andalucía !1
    Nous avons droit à des tapas royales ; amuse-gueule spécifiques à l’Andalousie.

    Le royaume des tapas – chaudes ou froides – rassemble tout ce qui peut se servir en petites portions. C’est Alphonse X, le Sage, roi de Castille, qui en a établi la coutume, au douzième siècle. Soucieux de tempérer les effets de la boisson sur ses sujets, il imposa en effet aux cabaretiers de ne jamais servir de vin sans l’accompagner de nourriture. Le roi est mort, les tapas demeurent ; vive le roi !


    1- Bravo Andalousie !


    La télé braille ; la machine à sous, déjà occupée, tinte ; la musique coiffe le tout ; quel charivari alors que nous ne sommes que cinq, en comptant les deux barmans !
    Vite, à nos montures, laissées à l’ombre des lauriers.
    Des affiches nous indiquent que d’autres nous ont précédés par ici, il y a très longtemps.
    Des dinosaures ont laissé leurs empreintes il y a deux cent trente millions d’années, une ère – secondaire – où tout le monde allait pedibus ; nos deux roues n’en laisseront pas autant, mes enfants !
    Calle Convento1, en légère déclivité, au sortir du bar, un recoin avec des poubelles, des bennes à papier, à verre, et au sol des débris de verre… vus trop tard et pour cause, c’est notre treizième jour de routes espagnoles et nous n’en avons encore jamais rencontrés !
    Je paye mon inattention une cinquantaine de mètres plus haut, c’est ma roue arrière qui en a récolté un !
    En cherchant où il s’est planté, je m’aperçois que mon pneu est perforé en de multiples endroits ; je revois l’épisode de la route en travaux, et des cailloux… Je constate aussi que je ne suis pas plus performant pour remonter cette roue qui m’avait déjà donné du mal lors de la première crevaison. Si j’en reste là, au niveau des crevaisons, une le deuxième jour, une l’avant-dernier, quelle aubaine !

    Nous poursuivons sur la A312, direction Navas de San Juan qui se trouve à quatorze kilomètres ; midi a commencé à chercher quatorze heures.
    D’interminables étendues d’oliviers agrippés sur les innombrables flancs des collines qui s’étalent à perte de vue, sont maintenant notre horizon. Ici, l’homme a modelé la nature à son avantage, ce paysage est une réussite, fait de bouquets tantôt verts, tantôt gris sur cette terre ocre rouge que rien ne souille, l’herbe n’y a pas droit de cité.
    Je ne résiste pas, il faut que je foule cette terre et que je frôle ces feuillages. J’ai du mal avec mes chaussures, mon vélo aussi, à avancer dans l’oliveraie fraîchement labourée, pour poser.
    L’image est trop belle, elle fera partie du butin de cette expédition ; merci Stéphane !

    Navas est devant nous, ceinturée par les oliveraies. Depuis Puebla, nous sommes redescendus de quatre cents mètres ; la température, elle, s’est élevée ; le soleil plombe et le vent semble être passé dans un four.
    La route pour Ubeda part vers l’ouest et passe par Arquillos, c’est toujours la A312, je l’avais préférée à la J6004 qui va plein sud et au plus court mais qui coupe un massif et qui de plus n’est pas représentée par un trait bien épais, alors que la première contourne la bosse.
    Près de la fontaine où nous nous sommes arrêtés pour boire frais et changer l’eau de nos bidons, des enfants jouent, le grand-père veille. A la demande de Stéphane, qui préfèrerait raccourcir – je suis tenté aussi – je questionne le pépé sur la praticabilité de la pequeña carretera2 qui va directement sur Ubeda.
    « ¡ No está mala ! »3
    Le problème, c’est qu’on évite Arquillos, le seul village d’ici à Ubeda, le seul endroit où l’on peut espérer déjeuner. Arquillos est à onze kilomètres, qui ne devraient pas être trop durs ; Ubeda, en coupant, est à près de trente et on ne trouvera rien pour manger avant.
    Tiendra-t-on jusque là ?

    1- Rue du Couvent
    2- petite route
    3- Elle n’est pas mauvaise !


    Nous nous retrouvons dans la même situation qu’hier, et midi s’est grandement rapproché de quatorze heures.
    La tentation de gagner des kilomètres, sur ce parcours chaud et bosselé, l’emporte.

    Une bonne montée nous attend sur une route très étroite mais praticable. Au sommet, le Santuario de Nuestra Señora de la Estrella1 veille sur Navas.
    Nous pouvons récupérer dans une descente qui nous amène sur la A301.
    ¡ Aquí también OBRAS !2
    Ce panneau a le don de me terroriser depuis que nous roulons sur cette terre espagnole. Il nous faut pédaler sur un passage empierré ; j’ai la hantise de crever ayant vu de près tout à l’heure l’état de mes pneus. Cette fois, ce ne sera pas si long, le macadam réapparaît. Nous avons débouché sur la fin des travaux, ceux-ci s’étendent surtout en direction d’Arquillos.
    La vie a ses hauts et ses bas, la route aussi ; nous étions dans un creux, voilà qu’elle repart vers des hauteurs, passé le río Guadalimar.
    Il doit nous rester une douzaine de kilomètres ; ce sera une marche forcée où les montées, la chaleur, le vent, la faim, et surtout la soif, vont nous lessiver. Le vent n’est pas de grande force mais il est brûlant et rajouté au reste… il devient éxécrable.
    C’est fini, je ne peux plus boire l’eau de mes bidons, elle est imbuvable de par sa température qui doit au moins avoisiner les quarante degrés.
    Cette fois, nous y sommes dans le Sud.
    Ma bouche est complètement desséchée, je la remplis de cette eau chaude, pour l’humidifier uniquement et mouiller mes lèvres, puis je la recrache sur mes bras et le dessus de mes cuisses, cela me provoque une sensation de fraîcheur.
    Pas question de s’arrêter sur la route, il n’y a pas le moindre centimètre carré d’ombre. Les seuls arbres sont ceux des oliveraies. Nous en pénétrons une – elles sont rarement accessibles – pour prendre quelques minutes de répit. Et là, la faim qui me harcèle, me fait refaire un inventaire des poches annexes de mes sacoches, il me faut à tout prix trouver quelque chose à manger. Je déniche un dernier pain d’épice !
    Merci Nuestra Señora de la Estrella, mais nos estomacs devront se contenter d’une demi-portion !

    Pour ce qui est de notre pain noir, nous sommes servis, celui-là nous ne l’avions pas épuisé !

    Je ne sais plus où j’en suis du chemin qu’il nous reste à parcourir pour atteindre la ville ; la route grimpe encore, lorsqu’une propriété, telle un mirage, surgit sur notre droite, au sortir d’une courbe. Les habitants sont sur leur terrasse ; nous nous approchons du portail, eux aussi. A bout de soif, je demande de l’eau fraîche. Un homme pénètre dans la maison et en revient avec un cubitainer en plastique de cinq litres, sorti du réfrigérateur. J’en prélève un peu dans mon grand bidon pour la boire sur le champ, puis je le remplis ; Stéphane en fait autant.
    Ils nous disent que nous sommes pratiquement arrivés.

    Je comprends mieux l’expression « Irse por los cerros de Ubeda » qui se traduit mot à mot par « S’en aller par les monts d’Ubeda » et qui veut dire divaguer !

    1- Sanctuaire de Notre Dame de l’Etoile
    2- Ici aussi des travaux !


    En fait, nous divaguons encore pendant deux kilomètres.
    Ubeda est bien là ; la route, enfin, ne monte plus. La zone industrielle, modeste, est déserte.
    Première rue, premier bistrot ; vite, vite à l’intérieur ! Nous sommes au bout du rouleau !
    Midi a largement dépassé quatorze heures, nous avons fait plus fort qu’hier ! Nous sommes allés au-delà de l’heure espagnole ; il est presque « l’heure des brousses », comme disent nos voisins du Rove, dans nos Bouches-du-Rhône, lorsqu’ils vont chercher le fromage frais chez les chevriers locaux, en fin d’après-midi !
    Il est quinze heures vingt, soit plus de sept heures pratiquement en non-stop, pour cent douze kilomètres !
    Quelle journée équilibrée, comme celle d’hier ! Il n’y a pas de quoi en être fiers, vu l’état pitoyable dans lequel nous terminons ; et pourtant, nos décisions sont mûrement réfléchies !

    Avant toute chose, je me fais servir un « tango » sur mesure, je dose ma grenadine ; il me faut me retaper.
    On nous a installés dans une petite salle à manger où nous sommes seuls à déjeuner. La téloche jacasse ; nous n’en avons que faire ; nous espérons que cette halte va nous redonner quelque énergie pour atteindre la fin prévue.
    Je ne bouge plus, je ne parle pas, je n’entends plus rien, je ne pense pas, peu m’importe le contenu de mon assiette ; je limite mes mouvements, je me concentre sur ma récupération…

    Ubeda mériterait que l’on s’attarde sur les vestiges de ses splendeurs passées, en particulier ses monuments de style Renaissance, mais nous sommes polarisés par notre fuite en avant…
    Jódar n’est distante que de vingt-deux kilomètres mais nous sommes avertis que cette unité de longueur, dans les sierras andalouses, a une autre dimension !
    Pour quitter Ubeda et prendre la route du Sud, il faut partir vers l’ouest, direction Jaén et reprendre tout de suite la A301 laissée tout à l’heure.
    Après quelques tergiversations – plusieurs fois font coutume – nous nous retrouvons sur le bon chemin et qui plus est, c’est une descente ! Une dizaine de kilomètres, à fond de train, et nous passons sur le río Guadalquivir, celui qui passe à Cordoue, Séville, avant de filer vers l’Atlantique ; il prend sa source dans la sierra de Cazorla toute proche.
    Qu’est-ce que ces sierras sont génératrices de ríos !
    Il suffit de passer le Guadalquivir, la gare de Jódar est là ! Elle est bien loin de son village ! Son village est haut perché, en voilà la raison ! Le fleuve a tracé le chemin du ferrocarril, et il ne monte pas à Jódar.
    La vue en face de nous est horrifiante, une barrière plus haute que les autres. Jódar se trouve quelque part en montant, à une dizaine de kilomètres.
    ¡ Hay que subir, nada más !1

    La chaleur s’est accentuée ; nous galérons contre un vent de face qui nous brûle le visage.
    Du sol, du goudron, remonte un air chaud, je le sens monter sur mes jambes, je le respire. Pas question de boire l’eau, je rince ma bouche, j’humecte mes lèvres, puis j’asperge en recrachant l’eau, les parties exposées de mes bras, de mes jambes. J’arrose mon visage et ma nuque modérément mais presque continuellement. Ma bouche est sèche aussitôt.

    1- Il faut monter, simplement !


    Il n’y a rien sur les côtés de cette route pour s’abriter du soleil, c’est pédale ou crève !
    Même si les arbres sont par milliers autour de nous, c’est un comble, on ne peut profiter de leur abri ; de profonds et larges ruisseaux, de chaque côté, empêchent l’accès aux oliveraies.
    Nous pouvons enfin en pénétrer une, un chemin y conduit. A l’ombre salvatrice des oliviers – l’air qui les traverse est un peu moins chaud, il sort de l’ombre – nous essayons de récupérer et de nous réconforter. Stéphane me fait profiter de son expérience ; il me tend sa bouteille d’eau en plastique qu’il charrie en supplément de ses bidons mais celle-là, il la transporte, coincée dans ses bagages, dans une de ses sacoches arrière, et plus précisément dans celle qui, lorsqu’on roule, se trouve du côté opposé au soleil ; elle profite ainsi de l’ombre de celle qui est exposée ! Son eau n’est pas fraîche mais les quelques degrés qu’elle a de moins que celle de nos bidons, la rendent buvable. Positionnée où elle est, elle est aussi plus abritée du rayonnement montant du macadam.
    Il me donne un chewing-gum ; la mastication fait saliver et la bouche est ainsi moins sèche. Cela s’avèrera efficace.
    Nous repartons ; mais démarrer en côte avec un gros chargement, nécessite toute une technique, et surtout mon plus petit braquet.

    J’ai beau peser de tout mon poids sur les pédales, j’avance faiblement ; je ne vois pas Stéphane derrière moi, il n’est pas au mieux non plus.
    Je suis en perdition sur ces derniers kilomètres.

    Le soleil, encore haut, un tantinet hautain, projette mon ombre sur l’asphalte ; l’image au sol est nette et pédale avec moi quelques dizaines de mètres. Dans cette ombre, qui peine ainsi sur la route, pour l’avoir vue maintes et maintes fois, en d’autres circonstances, je reconnais quelqu’un, je vois mon père. Sa silhouette m’escorte, mes racines sont là ; j’y puise la volonté et l’énergie qui me lâchent.
    Cette terre qu’il marque aujourd’hui, cette terre sur laquelle il s’est tant penché, cette terre, ce sera son Panthéon.
    Cette image furtive, sur cette route au pied de la sierra de la Cruz, est dedans mon être, une empreinte indélébile…
    Que cette trace qui s’efface maintenant, revienne, m’accompagne au plus haut et ne m’abandonne jamais. Puis-je toujours marcher avec elle !

    Un nouvel arrêt m’est nécessaire après seulement deux kilomètres.
    Mais Grenade est-elle si belle, que même si près du but, il faille encore tant souffrir !
    Je vais mettre plusieurs fois pied à terre ; je ne passe pas le cap des deux kilomètres, mes jambes n’en veulent plus.
    Mon regard, droit devant, loin, scrute l’horizon, cherche le bout de la route, en espérant entrevoir la fin de nos errances de ce jour.

    Et malgré les circonstances, j’avance.

    Et j’avance j’avance j’avance

    Malgré tout c’qui me tue j’avance j’avance

    Même si c’est tout doucement.
    Cette fois, mes jambes refusent d’enfourcher cette machine que je ne peux plus faire avancer, elles décident de continuer d’elles-mêmes.
    Deux cents mètres les relaxent et me permettent de reprendre le dessus sur elles, je repars.
    Stéphane a continué pendant ma marche forcée. Lorsque je le revois, il a pris l’allure du pistard juste avant de lancer le sprint, planté sur son vélo, il fait pratiquement du surplace ; il m’attend.
    La route part sur la gauche, il s’est engagé sur une bretelle, elle va tout droit ; au bout de celle-ci, émergent des habitations, les premières sur ces vingt-deux kilomètres effectués depuis Ubeda.
    Jódar, enfin !

    Un rocher gigantesque tombe à pic sur notre droite, la ville est étroite, coincée par la montagne. Les deux tours carrées du castillo maure dominent. Si sentinelles il y a, nous sommes repérés depuis un moment, mais notre assaut n’a pas dû causer grand trouble, vu le temps de la grimpée et l’état de déconfiture dans lequel nous nous présentons !
    Il est dix-huit heures quarante.

    Il y a énormément de monde et grand ramdam sur la petite plaza de España, qu’entourent l’église, l’ayuntamiento, des bars restaurants, des commerces…
    Mais notre préoccupation n’est pas là ! Je demande à quelques pépés qui font la causette devant la mairie, où se trouve la pensión Los Molinos, c’est la seule dont j’ai connaissance. Leurs regards empreints d’étonnement se portent au bout de la longue rue, qui continue après la place, à l’extrémité du village, mais ils nous disent qu’il n’y a pas d’habitaciones à Los Molinos ! Puis leurs regards se tournent vers les bâtiments face à nous ; « aquí, hay habitaciones »1, et je comprends, à leur expression, que ce n’est pas la peine d’aller plus loin, qu’ici c’est très bien. Effectivement, au-dessus du store vert déroulé du Bar Comercio, sous les balcons du deuxième étage, en grosses lettres, on peut lire Pensión Bar Comercio. Obnubilés par Los Molinos et groggy de fatigue, nous avons raté le panneau. Nous sommes volontiers convaincus.
    Le propriétaire, qui tient le bar, nous héberge pour un prix encore plus modique que les précédents jours ; la chambre est coquette, elle donne sur la place. La salle de bains dans le couloir, avec ses faïences luxueuses, est tout de suite occupée…
    Je m’asperge longuement, je voudrais que l’eau s’infiltre dans mon corps, pour le revivifier…
    Après avoir raccroché la tringle que j’ai fait dégringoler en tirant le rideau de la porte fenêtre qui donne dans la rue, nous descendons nous mêler à la foule. L’on s’agite beaucoup, surtout aux abords de l’église et moult curieux observent.
    « ¿ Que pasa aquí ? »2, je m’adresse à un badaud.
    « Están de boda. »3, me répond-il.
    Je réfléchis, je cherche ; ce mot ne me revient pas !
    Voyant mon regard interrogatif, il rajoute : « Se casan. »4.
    Cette fois, je comprends.


    1- ici, il y a des chambres
    2- Que se passe-t-il ici ?
    3- Ils sont de noces
    4- Ils se marient


    L’heure est tardive pour ce mariage ; y en a-t-il eu d’autres auparavant, veut-on éviter le cagnard andalou du milieu de l’après-midi ?
    Le parvis de l’église s’est vidé, ils sont tous rentrés ; ils vont s’unir pour le meilleur et pour le pire… à l’heure de l’apéritif, voire du dîner.
    Nous remontons la calle Sanabria, doucettement, histoire de détendre nos jambes et de nous imprégner de Jódar.
    Dans un petit boui-boui, d’une ruelle transversale qui semble arrêtée au fond par la paroi de la montagne, nous faisons une halte, avant le parcours retour. Il n’y a même pas de bar à l’intérieur ; une table est occupée, nous nous installons sur la deuxième ; il n’y a même pas la pression ! Nous dégustons une boisson ramenée de l’arrière-boutique, un genre de sirop blond d’orge et de houblon, capsulé, prêt à boire. Le patron nous cause, il y a un petit échange amical.
    Revenus plaza de España, nouvelle pause, dans un bar à tapas, à côté de notre pensión, un vrai cette fois ! Les tapas sont servies à profusion, pour accompagner la boisson ; la cerveza est à la pression ; nous en redemandons…
    Les portes de l’église s’ouvrent, c’est fini, ils se sont dit « »1.
    Le parvis est à nouveau encombré. La célébration a duré un temps fort long. Tout ce beau monde, endimanché, s’engouffre dans un grand autocar de tourisme, et vogue la galère, vivent les mariés ! Je trouve l’idée du car fort à-propos.
    Bar ou pas bar à proximité, le large paseo2 est maintenant jonché de fauteuils sur toute sa longueur, le trottoir est recouvert de plastique, blanc, vert et rouge. La fontaine aux multiples vasques s’est retrouvée encerclée par cette marée de sièges.
    Nous sommes toujours les seuls clients depuis tout à l’heure ; nous avons ouvert le bal des tapas et des cervezas.
    Je savoure avec Stéphane ces instants de récupération, nous avons besoin de nous refaire une santé.
    Ne pas bouger, ne même pas penser…

    Le soleil a fini son chemin lui aussi, il a rejoint l’horizon que nous masque la sierra Mágina ; un petit air souffle sur notre placette, il fait nettement moins chaud.
    Il est vingt-deux heures, il semble que la population se soit donnée rendez-vous, elle arrive de tous côtés. Les terrasses, en une quinzaine de minutes, se sont remplies.
    Quatre jeunes filles, douze, quatorze ans, sont attablées, elles sont venues en éclaireur, manifestement d’autres vont venir. Arrivent quatre jeunes garçons du même âge et le serveur prend les commandes. Le service est rapide ; ils ont tous pris des boissons non alcoolisées, l’Amérique est bien placée sur la table, et ils ont aussi des assiettes bien garnies.
    Pour nous, quelques bocadillos complèteront nos copieux amuse-gueule.

    Le samedi soir, à Jódar, on se régale en famille dans les bars à tapas ; tous les habitants du village, de sept à soixante-dix-sept ans, sont de sortie. Pour les parents, la boisson la plus prisée est la cerveza.
    Je passe une soirée délectable, il règne dans cette rue une convivialité rare, qui n’a pas son pareil dans bien de nos sociétés « évoluées ».
    Ils sont tous bien sympathiques dans ce village ; ces gens-là vivent en parfaite harmonie, ils m’ont l’air heureux, simplement !

    « O temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices
    Suspendez votre cours !
    Laissez-nous savourer les rapides délices
    Des plus beaux de nos jours ! »

    Tout cela me revigore, les forces m’en reviennent.

    1- oui
    2- promenade

    Nos vélos sont toujours dans le hall ; avec toute cette population devant l’hôtel, ils ne risquaient rien. ¡ Aquí no pasa nada !
    Ils ont eu la vie dure aujourd’hui mais ne se sont jamais plaints ; ils encaissent tout sans dire mot ; là, ils ont récupéré, ils sont prêts à repartir. Ils nous ont fait aujourd’hui cent quarante-deux kilomètres de sierras surchauffées. Même le « tic-tic » de mon petit plateau ne s’est pas manifesté, dans les plus forts pourcentages ; le premier graissage, le seul, de Tolède, a suffi pour le faire disparaître. La graisse des bicicletas Moreno a été efficace et n’a pas sombré dans la fournaise d’Ubeda. Par contre, il y a eu des débordements autour de la petite boîte, dans la poche avant de ma sacoche de guidon ; le lubrifiant, là, a pris chaud. Un petit sac plastique, de ceux que j’utilise pour protéger mon compteur de la pluie – sage précaution – a évité de graisseux dégâts.

    Il est pratiquement minuit lorsqu’on se couche ; en bas, règne un brouhaha infernal… Cet après-midi, nous étions seuls sur la route, pas âme qui roulait, par contre ce soir, il y a du monde dehors !

    La nuit a posé son noir manteau ; me reviennent ces vers de Lamartine, qui suivent ceux des « heures propices » que le poète veut immobiliser :

    « Mais je demande en vain quelques moments encor
    Le temps m’échappe et fuit ;
    Je dis à cette nuit : « Sois plus lente » ; et l’aurore
    Va dissiper la nuit. »

     

     

    Samedi, 17 juin 2000. Mais Grenade est-elle si belle, que même si près du but, il faille encore tant souffrir !

    Un tableau bucolique sur le bord de notre chemin...

     

    Samedi, 17 juin 2000. Mais Grenade est-elle si belle, que même si près du but, il faille encore tant souffrir !

    Il faut que je foule cette terre, que je frôle ces feuillages...

     

    Samedi, 17 juin 2000. Mais Grenade est-elle si belle, que même si près du but, il faille encore tant souffrir !

    Bar Comercio : « aquí, hay habitaciones », on s'arrête là.


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  • Notre direction est plein sud ce matin, par la CM3107.
    Celle-ci démarre à l’extrémité sud de la ville ; nous sommes complètement à l’opposé. Hier après-midi, nous avons beaucoup tourné et viré avant de nous orienter ; ce matin, ce serait bête de refaire quelques tours pour trouver cette route qui doit nous emmener à Manzanares.
    Elle tire droit pendant quarante huit-kilomètres… sans le moindre petit village. Nous allons être isolés.

    Marie-Louise s’en était allée direction ouest par la N420, la Ruta de Don Quijote, vers Puerto Lapice ; c’est là que l’hidalgo, pressé d’entreprendre son périple, se serait fait armer chevalier par le tavernier… Elle a préféré rouler à l’ouest de l’autovía NIV mais a dû l’emprunter sur un tronçon, avant de revenir sur son côté est, le nôtre, sur Ubeda.
    J’ai demandé à la patronne du Numancia, le chemin le plus direct pour sortir de la ville mais ses explications me paraissent, et se révèleront, confuses.
    Il est huit heures, le ciel a gardé son beau bleu mais un très léger vent s’est déjà levé.
    La CM3107, petite route jaune sur la carte, bien loin de tout, sur un fond blanc vide, me laissait croire que nous allions traverser un désert.

    Il n’en est rien. Ces quarante-huit kilomètres seront attrayants même si le décor va rester constant.
    Des petites habitations blanches, éloignées de la route, des fincas1, des tracteurs dans les champs, des ouvriers travaillant dans les vignes, des planteurs qui plantent je ne sais quelle espèce, des plants de melon ou de pastèque, des maïs avec un arrosage intégré, des cultures de céréales ; l’agriculture va bon train entre Alcázar et Manzanares. Nous aussi sur cette longue portion aplanie ; mon braquet de 42x15 tourne joyeusement.

    Au départ d’Alcázar, un gigantesque moulin se dresse au beau milieu des vignes, ses ailes sont tournées face à la route, il est au modèle de ceux de Campo de Criptana mais de construction plus récente. Un large chemin démarre d’entre deux énormes piliers blancs, le portail est bleu et grand ouvert. C’est une propriété magnifique, je ne peux m’empêcher de fixer l’image. On ne doit pas faire ici grand commerce de meunerie, c’est plutôt une fantaisie du riche propriétaire.

    Dans cette interminable traversée, seulement deux petites routes vont croiser la nôtre.
    La première, après vingt-cinq kilomètres ; un panneau nous indique Argamasilla de Alba et Tomelloso sur la gauche. Miguel de Cervantes Saavedra aurait ébauché les premiers chapitres de son roman dans ce village d’Argamasilla alors qu’il y était emprisonné pour des déboires avec le fisc. Tomelloso est connu pour ses vins et ses coñacs2.


    1- propriétés (fermes)
    2- cognacs


    A la deuxième, nous pourrions bifurquer vers la gauche pour rallier La Solana mais on manquerait Manzanares et je veux m’y arrêter parce que je risque de manquer de pesetas ; mon viatique a considérablement diminué. Il serait bon que je me refasse…
    Il me reste quelques francs, je devrais trouver un cambio1 ou une banque, la ville compte dix-huit mille habitants.
    Peu avant Manzanares, on moissonne ; une lourde machine avance, pas à pas, dans un gros nuage de poussière.
    Notre premier contact, après la cinquantaine de kilomètres de campagnes traversées, est le polígono industrial.
    Nous entrons dans la ville en suivant scrupuleusement les panneaux Centro Ciudad 2.
    Il y a quatre ans, j’arrivais ici, mais par l’extérieur et par la nationale IV qui descend de Madrid. Le bus Nice-Algésiras de la compagnie « Intercars » que j’avais pris à Marseille, fait, entre autres, et après Madrid, une pause casse-croûte à Manzanares avant de poursuivre sa route pour Grenade. Il met à peine dix-sept heures pour faire Marseille-Manzanares, vingt heures pour atteindre Grenade, quand tout se passe bien. Aujourd’hui, nous en sommes à notre douzième jour, soit à environ une centaine d’heures de pédalage…

    Le centre ville est coquet ; dans une rue piétonne, je trouve une caja de ahorros 3, l’argent doit y couler à flots, vu le luxe. Je vais changer mes cent derniers francs. Ma tenue ne doit pas être courante dans un tel endroit, je surprends les deux préposés ! Il me faut sortir ma carte d’identité. L’un des deux, après hésitations entre eux, saisit le numéro sur son ordinateur ; il n’est pas content, ça ne marche pas comme il veut. Il me demande l’ordre de mes prénoms, c’est René François ou François René ? Il bataille une dizaine de minutes sur son clavier, en vain ; pour finir par me dire qu’habituellement c’est son collègue qui s’occupe de ce genre d’opération et qu’il est sorti boire un café ; et si je veux bien revenir un peu plus tard !
    Il est dix heures trente, ils ont ouvert à neuf heures trente et l’autre est déjà au bistrot !
    Les ouvriers qu’on a vus ce matin dans les champs ne doivent pas avoir la chance de ces employés !
    Je lui dis que l’affaire est bien compliquée alors qu’il ne s’agit que d’échanger cent francs contre à peine deux mille cinq cents pesetas !

    Nous allons patienter dans un bar proche car le desayuno de ce matin, nous l’avons maintenant aux talons. Un café et un croissant seulement, la faim commençait à nous tenailler. Un bocadillo y una caña de cerveza nous remettront d’aplomb. Ici aussi, le verre sort du congélateur, pour que la bière reste fraîche plus longtemps.

    Je retourne à la banque « El Monte », pour ne pas la citer ; le troisième employé a regagné son poste. Lui, qui est au courant de ce type de transaction, m’informe qu’il y a une commission de mille deux cent cinquante pesetas, soit cinquante francs, à verser pour tout change. Donc mes cent francs ne seraient plus que cinquante !
    « ¡ Tontos y además ladrones ! »4


    1- bureau de change
    2- Centre ville
    3- caisse d’épargne
    4- Imbéciles et de plus voleurs !


    Arrêtons-là les frais, et sauvons-nous de cette bande de malfrats !
    Je compterai mes pesetas de plus près…

    Finie l’allégresse du pédalage de cette première partie de matinée ; pendant cet intermède, le vent a forci et il vient du sud-est, notre direction jusqu’à Villanueva de Los Infantes. Nous devrions déjeuner là-bas ; La Solana arrive trop tôt, elle ne se trouve qu’à quatorze kilomètres et Villanueva trente et un après. Nous devrions pouvoir faire ces quarante-cinq kilomètres avant la comida ; de toute façon, la carte ne nous propose pas le moindre petit hameau entre La Solana et Villanueva. Nous n’avons pas le choix, il nous faut assumer la condition de forçat qui est quelquefois la nôtre.
    Nous passons Membrilla sur la N430 puis La Solana, la route est à peu près plate, nous sommes passés de six cent soixante à sept cent quarante mètres ; nous recevons le vent en pleine figure, nous évoluons par vent debout…
    Notre direction maintenant, sur la CM3127, est plutôt sud sud-est ; cette fois, nous remontons le vent de très près, nous le prenons de trois quarts face.
    Sur nos embarcations, pas de dérive pour nous empêcher de « déraper » ; il nous faut donner contre cette mauvaise fortune, force coups de pédales. J’incline ma colonne bien bas.
    Nous sommes sur un faux plat qui monte, Villanueva est à neuf cent vingt mètres, un faux plat interminablement interminable.

    Et toujours en point de mire, la fin de la montée là-haut et une fois en haut, ça repart tout droit et ça remonte, et ça souffle… Et ça dure trente et un kilomètres, je les compte un par un ; depuis La Solana, des panneaux les matérialisent, toujours tout droit. La seule distraction sur ce trajet rectiligne, le seul endroit où la route fait deux coudes successifs : la retenue d’eau del puerto de Vallehermoso1 ; une légère déclivité nous fait passer ce col de la mini Sierra de Alhambra ; nous traversons, au pied d’un petit barrage, le río Azuer. Dans ce paysage sec, sur cette étendue dépouillée, ventée, complètement inhabitée, la présence de cet immense bassin surprend ; j’aperçois un champ de luzerne.
    J’ai vidé, sur ces kilomètres de grande sécheresse et de grande solitude, mes deux bidons d’eau.

    Nous arrivons enfin à Villanueva, il est quatorze heures vingt, et nous avons fait quatre- vingt-dix-neuf kilomètres ; le vent nous a déshydratés ; cette fois, nous sommes « cuits aux patates » ! Il est temps de manger.
    Nous sommes à l’entrée ouest de la ville, à l’intersection de quatre rues.
    Un homme à cheval avance, bouclier sur le côté et lance pointée vers le ciel. La patte avant droite relevée, la bête a la tête basse ; le regard de l’homme cherche au loin, ils semblent tous les deux fatigués. Ils sont d’ébène, devant un panonceau géant bâti en pierres et blanchi à la chaux.
    Dans ce lugar de la Mancha2 qu’est Villanueva de Los Infantes, on a aussi figé la silhouette du personnage de Cervantès.
    Alors que nous sommes plantés là devant El Quijote et sa Rocinante peints de noir, une charmante demoiselle traverse le carrefour où pas une voiture ne passe.


    1- du col de Vallehermoso
    2- localité de la Manche


    Pourquoi cette jeune fille que nous abordons et à qui je demande « ¿Dónde se puede comer ? »1, après nous avoir montré une station service à quelques courtes pédalées de là, rajoute « ¡ Podréis descansar ! »? Sont-ce nos têtes faméliques, avons-nous des mines si pitoyables, pour qu’elle nous prodigue tant d’attention !
    Il y a effectivement un bar restaurant adjacent à la station, nous sommes sauvés !
    Il est bondé ; c’est un routier.
    Aujourd’hui, les deux cyclos français ont battu les Espagnols, à plate couture, à l’entame proche du déjeuner. Et à huit heures ce matin, qui c’est qui était déjà sur la route ?

    La paella est le plat du jour, ce sera le nôtre.
    Elle est là devant moi, je l’attendais plus que le Messie, les formes sont arrondies, le pied est élancé, elle est d’un blond ravageur ; je laisse tremper mes lèvres desséchées dans ma « Cruzcampo » fraîche... longtemps. Et je recommence… , je la bois à petites gorgées, je savoure mon bonheur.
    Mes jambes apprécient ce repos tardif.
    La télé ronronne, bien évidemment, mais la salle étant petite et l’autochtone jactant bien fort, on ne l’entend pas.
    Les Espagnols aiment le frais – il faut compenser le cagnard qui règne dehors – ; déjà hier soir, chez Paco, les tranches de melon sortaient du réfrigérateur ; notre tranche de pastèque est glacée, ce qui n’est pas pour déplaire à mes lèvres qui caressent la chair rouge avant qu’elle ne se fonde…
    Tout à l’heure, lorsque nous sommes arrivés, les clients étaient déjà tous attablés ; maintenant, nous sommes les seuls, ils ont tous repris leur route, qui n’est pas la nôtre ; à chacun la sienne. Cette fois, c’est la télé qui a repris la situation en mains et qui donne de la voix. La météo annonce une vague de chaleur et des températures élevées ; elle doit être dans le vrai, ce matin, à Manzanares, nous avons vu clignoter vingt-six degrés. Est-ce cette information, la soif me reprend ? Sur une table voisine, une bouteille d’eau d’un litre et demi, à moitié consommée, toute embuée, donc encore probablement fraîche, semble me narguer. Je lorgne sur elle depuis quelques instants. Au serveur qui vient s’enquérir de nos desiderata, je demande si nous pouvons la récupérer. Il nous l’amène ; nous la vidons.
    L’accueil a été remarquable dans ce petit restaurant, les routiers étaient sympa, le restaurateur aussi, l’un ne va pas sans l’autre. On y resterait volontiers un peu plus mais il nous faut repartir, la route nous appelle ; l’objectif, toujours en point de mire… Nous en sortons péniblement ; il est quinze heures cinquante !
    Nous repartons, nous n’avons rien vu de Villanueva de Los Infantes, ville d’origine romaine au riche passé historique ; ici mourut l’écrivain Quevedo, dans une cellule du couvent Santo Domingo.

    La CM3129 nous entraîne tout de suite… et là-bas, l’horizon prend de la hauteur. Nous allons retrouver, en cette fin de voyage, un parcours en dents de scies ; les sierras nous attendent de pied ferme.
    L’objectif de la journée est Villamanrique où nous espérons trouver quelqu’ hébergement, toutefois à ce sujet, je suis plutôt inquiet parce que mes recherches à distance sont restées vaines.


    1- Où peut-on manger ?
    2- Vous pourrez vous reposer !


    Villamanrique est un petit village, il ne nous reste que vingt-six kilomètres à parcourir pour l’atteindre, mais la matinée a été longue et a laissé des traces…
    Des parcelles de terre colorées, vallonnées, font un paysage facile à croquer ; pas âme qui vive dans cette peinture brune, verte, blonde…
    Le fond de l’air est agité et chaud. Nos bouches sont tout de suite desséchées.

    Le río Jabalón que nous franchissons n’humidifie pas grand chose, je vois deux petites flaques en bas, sous le pont… de part et d’autre, des pierres…
    Un enclos blanc avant le village au loin, des cyprès très hauts, c’est un cimetière, casé au beau milieu des vignes.

    Un son de cloche retentit à Cózar, il est seize heures trente ; le village est un désert de silence. Seul le vent, qui nous est toujours défavorable, bruisse dans les plus hauts feuillages. Notre direction s’étant orientée carrément sud, nous l’avons plus de travers que de face.
    Deux voitures, trois tracteurs parés de leurs herses ou outils rotatifs, trois autres de leurs remorques, sont garés dans la rue principale ; les machines attendent au soleil leurs propriétaires qui prolongent la pause…
    Seulement une dizaine de kilomètres depuis le restaurant et déjà, nous éprouvons le besoin d’une halte !
    J’éprouve surtout le besoin de m’enquérir du résultat de la deuxième étape de la randonnée de mes deux accompagnatrices qui, elles, naviguent sur le bord de mer…
    Une petite place, mais de grands arbres et de la fraîcheur, des lauriers roses et blancs, des oiseaux qui donnent un concert, et surtout une cabine téléphonique… un petit jardin public, une fontaine, des bancs… nous ne demandions pas cet éden ! Nous y goûtons bien volontiers.
    Et ce portable de Michèle, quelque part sur la route de Grenade, que je ne peux joindre ! Elle a pourtant souscrit l’option « Europe » !

    Des rosiers bordent la rue par laquelle nous entrons dans Torre de Juan Abad, nous passons devant la Casa Pepa, au soixante-trois de la rue Calvario, une des rares pensions que j’avais relevée au hasard de mes dérives sur le web espagnol. J’avais noté deux pensions sur Villanueva de Los Infantes, celle-ci que nous venons de voir et puis plus rien dans toute la région, mais croyant en ma bonne étoile, je me persuadais qu’à Villamanrique, nous trouverions quelqu’abri.
    Nous entamons la conversation avec plusieurs habitants, nous voulons être rassurés, si nous continuons, quant à un hébergement sur Villamanrique, parce qu’après, Venta de los Santos, prochain village sur notre route, est à trente kilomètres, et les sierras se sont rapprochées ! Nous interviewons ça et là, je rentre même dans le garage d’un réparateur d’engins agricoles ; Il y a là la femme, le jeune fils ; notre périple les intéresse, à notre tour d’être interviewés. Ils nous disent que demain, le paysage sera magnifique jusqu’à Venta de los Santos, tout un parcours dans la sierra, par des petits cols, et qu’en démarrant tôt, on verra peut-être des cerfs.
    ¡ Madre mía !1


    1- Sainte Vierge !


    Finalement, ici, nous avons deux hébergements possibles. Pour ce qui est de Villamanrique, sur les six ou sept personnes interrogées, deux seulement ont été catégoriques, disons plutôt affirmatives : « Sí, hay habitaciones. »1 ; les autres ne savaient pas.
    Nous prenons le risque d’aller un peu plus loin, un peu plus haut ; ce serait bien de raccourcir l’étape de demain qui ne sera pas des plus courtes, des plus faciles et qui ne devrait pas être des plus fraîches.

    En avant pour Villamanrique, plus que sept kilomètres !
    Et toujours sur la CM3129 ; la route monte maintenant, passe entre deux hautes collines, traverse le río Guadalén, aussi sec que son voisin Jabalón, et nous offre un paysage déchiqueté, d’une beauté sauvage. Quel contraste avec la plaine du début de journée !
    La route s’est rétrécie depuis Villanueva, seuls deux vélos l’empruntent en cette chaude fin d’après-midi. Petite mais en bon état, elle est totalement désertée par les voitures, comme il me plaît.
    Dans les virages, le goudron coule.
    Et toujours ce vent de sud-est qui sèche la bouche, qui sèche la gorge ; sitôt bu, sitôt sèches, et il faut l’ingurgiter cette eau tiède !
    Ce vent contrarie notre lente progression. On a du mal à accepter cette hostilité des éléments.
    Mais Villamanrique, terme désiré de l’étape de ce jour, nous apparaît, sur ce que l’on croit être le sommet. En haut de cette sierra, en contrebas de la route, s’étalent des terres colorées d’ocre et d’or. La machine à moissonner fait son ouvrage. Je m’arrête pour me fondre dans ce décor, d’or et de lumière et je saisis cette image de sérénité.
    Les premières maisons sont rouges, du même rouge des terres qui les entourent ; le clocher brun clair veille sur les toitures d’égale hauteur ; la route continue de monter.
    Nous sommes passés de huit cents à mille mètres.
    Nouvelle quête, mêmes questions ; le constat est brutal : il n’y a rien pour coucher à Villamanrique !
    Pour nous consoler et nous remonter, mais surtout pour nous désaltérer, nous nous attardons sur deux cañas ; comble de bonheur pour nos lèvres et nos gosiers, on nous les sert dans des verres pris dans le congélateur.
    On a beau questionner, ici tout le monde est catégorique, il n’y a aucun hébergement possible.
    Par contre, en direction opposée à notre parcours, à Puebla del Príncipe, il y a un hostal, et il est connu de tous !
    Deux solutions : soit on continue notre chemin jusqu’à Venta de los Santos, le prochain village, à trente kilomètres, et sans aucune garantie de pouvoir y coucher, soit on bifurque à contresens vers Puebla et son hostal et cela ne nous rajoute pour ce soir que sept kilomètres.
    Nous optons pour la deuxième, étant avertis qu’une nouvelle sierra est à gravir…
    Contrariés, nous abandonnons notre route et amorçons les pentes de la CM3202, alors que je suis persuadé que parmi toutes ces habitations, il doit se trouver des gens qui nous auraient ouvert grand leur porte pour nous héberger, même sans qu’il soit question d’argent…
    Mais je ne me suis pas aventuré à quémander.


    1- Oui, il y a des chambres


    Stéphane me laisse toujours ouvrir la route par crainte certainement de m’imposer un train trop soutenu.
    Je dois peser sur les pédales, pour gravir cette dernière côte, mon braquet de 42x24 est à l’ouvrage.

    Deux petites têtes rouges, près de la route, se dressent, pas vraiment inquiètes. Nous levons deux perdrix au plumage roux. L’une des deux hésite, puis détale à tire-d’aile ; l’autre trottine, va, chemine sur le macadam, à une vingtaine de mètres devant nous. Je ne dis rien à Stéphane, pour ne pas effrayer le volatile. Même le gibier est serein ici !

    Du plus loin de moi-même, des images ressurgissent.
    Je rampe sur une terre fraîchement travaillée, imitant les mouvements coulés de mon père ; il est allongé devant moi et avance, entièrement plaqué contre ses labours. Je me fais tout petit, mais dans le prolongement du canon double de son fusil, je les vois, les deux perdrix qu’il a au bout de sa ligne de mire. Il les a repérées de la maison toute proche, par la fenêtre ; a saisi son arme et m’a demandé de l’accompagner. Quel âge pouvais-je bien avoir ; quatre, cinq ans, guère plus ? Il sera chassé de sa terre, si chérie… et pour laquelle il aura tant donné…

    « ¡ Hola la perdiz ! »1, dis-je au gallinacé qui, pépère, a fini sa traversée.

    Nous arrivons péniblement au bout de notre côte ; Puebla del Príncipe est là, nous sommes cette fois au sommet. Le village est perché sur un versant de la sierra Morena ; l’hostal, restaurante, bar y discoteca des Hermanos Medina 2 est juste à l’entrée.

    Enfin, nous pouvons nous poser, après cent trente-sept kilomètres, un petit changement d’itinéraire, une heure bien tardive à nouveau, et une usure physique qui commence à se faire sentir. Il est dix-neuf heures.
    Quant à mon compteur, je ne me pose plus de questions ; je pense qu’il a fini de dérailler.

    Nous devons être les seuls clients de l’hôtel et il me semble que ces derniers temps, ils ont dû être rares.
    Stéphane fait couler l’eau dans la baignoire, il la trouve éternellement froide !
    Je lui demande de patienter, elle va sûrement arriver dans quelques minutes… Mais je sens monter sa colère ; il est dans un hôtel deux étoiles, me dit-il, et en France, ce genre de déconvenue n’arriverait pas dans un établissement de ce type !
    Oui, mais Stéphane, on n’est pas en France, on est dans un coin perdu de la sierra Morena !
    Cool, Stéphane ! Je crois que toi aussi, t’en as pris un coup aujourd’hui !
    Je le laisse maronner, dans l’attente de l’arrivée d’une eau un peu plus chaude… Je vais au village, chercher une cabine ; il y en a une juste à côté d’un petit bar.
    Cette fois, du haut de la sierra, j’ai pu joindre Michèle sur son portable. Les deux navigatrices ont dépassé Alicante, elles ont bifurqué vers l’intérieur, direction Murcia ; elles sont à Elche.
    Aurel progresse toutes voiles dehors, elle a même déplié le grand spi, elle trace à cent cinquante à l’heure. Ce soir, elles vont prendre un bain dans la piscine de leur hôtel ; c’est grand luxe !
    Demain, elles seront à Grenade.

    1- Hola, la perdrix !
    2- Frères Medina

    De retour à l’hostal, je trouve Stéphane allongé, j’entends l’eau qui coule dans la salle de bains…
    Puisque la salle de bains est libre, je vais la prendre, moi, la douche ! Bien content de l’avoir trouvé cet hôtel dans ces contrées isolées ! Ça doit faire un moment qu’il ne se préoccupe plus de la température de l’eau ; je la trouve suffisamment tiède et je me délecte sous le jet, après cette journée harassante. Je voudrais que l’eau que je laisse couler sur mon corps me pénètre, me réhydrate, tellement il a dû s’en évaporer. La fatigue glisse quelque peu.

    Sur une action de génie, Bergkamp voit son tir repoussé par le gardien Schmeichel, Kluivert est là pour reprendre du pied gauche, dans les buts vides. Les Néerlandais prennent l’avantage à la cinquante sixième minute. Neuf minutes plus tard, le numéro 5 Zenden offre sur un plateau le deuxième but, à Ronald de Boer entré cinq minutes auparavant, en ajustant un centre à ras de terre. Pourtant le Danemark se montrait maître de son sujet en ce début de deuxième mi-temps. Le match est intéressant, les Danois auraient bien pu mener à la pause !

    Depuis le début du repas, au bar, deux hommes discutent ; l’un porte polo jaune et mobile à la ceinture, l’autre chemise bleue.
    J’en ai terminé avec mon riz.
    L’homme à la chemise bleue a aussi un mobile, il vient de le sortir, il communique…
    Dans ce coin retiré, au sommet d’une sierra du fin fond de l’Espagne, le progrès a happé les habitants de ce petit village… Nous l’avons bien dénichée, nous aussi, cette minuscule bourgade…

    J’ai signalé tout à l’heure, au gars du bar, parce que promis à Stéphane, le peu d’eau chaude dans la chambre. Ils ont mis en route la chaudière dès qu’on est arrivé, mais comme celle-ci alimente tout le bâtiment… l’eau n’est chaude partout qu’au bout d’une heure et demie.
    Stéphane en aura demain matin, de l’eau bien chaude, pour se raser…
    C’est donc bien ça, nous sommes les seuls locataires.
    Un nouvel arrivé au bar, il est installé près de la porte d’entrée, il grignote. Méthodiquement, il décortique et il ingurgite ; inéluctablement les coquilles vont par terre. Au pied de son tabouret, le carrelage est jonché de moult déchets.

    Pendant que Stéphane s’éternise à manger son bocadillo de calamares1 supplémentaire, un petit rabiot qu’il s’est offert, j’ai tout loisir pour suivre attentivement le match à la télé.
    Zenden, qui a centré tout à l’heure et a fait marquer le deuxième but, vient de marquer le troisième, il conclut une longue course du défenseur latéral sur l’aile droite. Trois buts en une vingtaine de minutes ; cette fois, les carottes sont cuites. Pourtant les maillots oranges sont ceux portés par les Pays-Bas !
    Si j’ai bien entendu lors d’un résumé, les Danois en ont également pris trois contre les Français.

    1- sandwich aux calamars


    Au fait de carottes, dans ce périple espagnol, je n’en ai encore pas mangé ! Dans la région, on devrait en trouver ; sur la route j’ai vu un panneau indiquer la sierra de los conejos1.
    Maintenant, Stéphane a terminé.
    Un homme est entré dans le bar, un collègue de celui qui n’en finit pas de décortiquer ses amuse-gueule. Il porte une casquette avec visière, une barbe d’au moins trois jours et lorsqu’il s’assied près de son ami, que voyons-nous accroché à sa ceinture : un téléphone mobile !

    Faute du gardien des Pays-Bas Van der Saar sur le 11 danois, celui-ci est carrément fauché dans la surface de réparation : penalty. Le 2, Schjönberg, tire ; trop à droite !
    Le public du stade de Rotterdam est heureux ; les Danois sont contraints de faire leurs valises.
    L’Euro 2000 continue son chemin de petit bonhomme.

    La région est certainement giboyeuse, vu ce que nous avons observé sur la route, la décoration dans ce bar et cette salle de restaurant, et la carte de cet hostal des frères Medina. Les proprios organisent des chasses et font commerce de perdrix, grives et pigeons ramier.
    Roger, Alain, Christian, vous seriez là dans votre élément ; je vous raconterai…
    Sur la grande cheminée, se trouve le téléviseur, il est encadré par trois grosses têtes : une de sanglier et deux de cerf ornées de leurs bois. D’autres têtes de cervidés sont plantées çà et là ; la femme du garagiste de Torre de Juan Abad disait vrai ; peut-être les verrons-nous demain ces cerfs ? On peut voir aussi une perdrix, un lapin, un lièvre empaillés et même un cobra ! J’ai examiné chacun d’eux ; pour le gibier, tout est naturel ; pour le reptile, j’ai des doutes.

    Le riz au lait n’est pas mal ici, il est servi avec la saupoudreuse de cannelle, mais il ne vaut pas celui d’el mesón 2 Contreras de Madridejos, c’est un dessert en boîte !

    Ils sont deux maintenant, à l’entrée du bar, à décortiquer des pistaches, je découvre enfin ce qu’ils mangent, en sortant ; la couche de coquilles s’est épaissie.
    Il est vingt-deux heures quarante-cinq, il fait frais dehors. Pour profiter de cette fraîcheur qui me revigore, je propose à Stéphane, qui irait plutôt s’allonger, de marcher jusqu’au village, un peu plus haut.
    Les rues sont désertes, les maisons sans lumière, c’est pleine lune et grand calme, si ce n’est des aboiements lointains. J’ai beau chercher, je ne vois qu’une seule voiture. Roger, tu ne ferais pas tes affaires ici ; la chasse, oui, la mécanique, non ! Plus personne non plus dans les rues ; à Puebla del Príncipe, le travail, c’est celui de la terre ; on se lève tôt le matin, les journées sont longues…
    La nuit a recouvert Puebla del Príncipe de son épais manteau de quiétude.
    Je respire quelques petits instants ce rythme de vie simple que les gens d’ici doivent vivre, malgré leurs mobiles épinglés…
    Dans le village, un panneau indicateur signale Albaladejo à dix-neuf kilomètres, un nom rugbystique bien de chez nous !


    1- sierra des lapins
    2- l’hôtellerie


    La promenade est de courte durée, nous regagnons notre gîte.
    Demain l’hôtel n’ouvre qu’à partir de neuf heures ; tout à l’heure, nous avons réglé la cuenta, quatre mille pesetas la chambre, deux mille cinq cents les repas et boissons, soit cent trente francs chacun, nous nous en sortons bien ; les prix sont réguliers et toujours bon marché. Les vélos sont à l’abri dans le garage de l’hôtel au milieu d’un beau bric-à-brac, mais ici, on ne paiera pas de supplément ; on est bien loin de la ville…
    Demain matin, nous irons donc déjeuner au bar du village ; en attendant, nous allons profiter nous aussi de l’épais manteau de quiétude.

    Je glisse mon corps las dans de beaux draps proprets, il est aux anges.
    Nous sommes près du but ce soir, mais curieusement, le mental, lui, n’en est pas encore à la remise de satisfecit. J’appréhende l’étape de demain qui doit nous mener à Jódar par Ubeda, une étape de monts et de vaux ; nous continuons par les sierras.

    Et mes fesses, me direz-vous !
    Et bien, je m’en occupe toujours, merci ! D’ailleurs, à l’instant, je referme le tube de « cetavlon », mais plutôt en utilisation préventive que curative. Et demain matin, comme d’habitude depuis le troisième jour, j’imprégnerai la peau de chamois du premier cuissard que j’enfile, de crème contre les irritations ; et comme depuis mardi matin, je passerai un deuxième cuissard pour plus de confort. Mon expérimentation s’est avérée judicieuse ; depuis, les échauffements sont moindres.
    Mais attention, le système a des inconvénients ! Deux cuissards, lorsqu’on roule par trente-cinq degrés ou plus, de huit à dix-neuf heures soit pendant une dizaine d’heures, chaud dedans !
    Là, elles sont dépourvues de leur carcan, libres comme l’air, dans un caleçon flottant, entre deux draps bien propres.
    Et toujours dans tous ces petits hostales, pensiones ou albergues, une propreté irréprochable ; même l’hostal El Descanso, d’Ocaña, un peu en perdition et malgré une couverture trouée, s’est révélé bien tenu.

    Elles sombrent aussitôt dans les bras de Morphée.

     

    Vendredi, 16 juin 2000. Où il apparaît que le cyclo errant présente des signes de lassitude…

    Au départ d'Alcázar, un gigantesque moulin se dresse au beau milieu des vignes...

     

    Vendredi, 16 juin 2000. Où il apparaît que le cyclo errant présente des signes de lassitude…

    La retenue d'eau del puerto de Vallehermoso.

     

    Vendredi, 16 juin 2000. Où il apparaît que le cyclo errant présente des signes de lassitude…

    Sont-ce nos têtes faméliques, avons-nous des mines si pitoyables, pour que cette jeune fille nous prodigue tant d’attention !

     

    Vendredi, 16 juin 2000. Où il apparaît que le cyclo errant présente des signes de lassitude…

    S'étalent des terres colorées d'ocre et d'or. La machine à moissonner fait son ouvrage.

     

    Vendredi, 16 juin 2000. Où il apparaît que le cyclo errant présente des signes de lassitude…Vendredi, 16 juin 2000. Où il apparaît que le cyclo errant présente des signes de lassitude…

     

     

     

     

     

     

     

    Terme désiré de l’étape de ce jour.                            Enfin, nous pouvons nous poser, après cent                                                                                trente-sept kilomètres. Il est dix neuf heures.


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  • en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     

    Sept heures trente, Tolède n'est pas encore réveillée ; nous avons fait tout notre possible pour ne pas faire de bruit à la pension.
    Nous laissons les rues pavées et vides de la cité, l’air est frisquet.
    J’ai renoncé à ma petite route par Cobisa…
    Nous prendrons de suite la nationale 401 ; je connais le chemin, il nous faut aller jusque chez Moreno ; après, ce sera la direction de Ciudad Real.
    Au sortir des remparts, le rythme frénétique de la circulation nous cueille, à froid. Il suffit de passer le pont, et la N401 est là, puis moult voies et des embranchements…
    Et bien vite, nous nous apercevons que nous ne sommes plus sur la N401 mais sur la CM400 ! Elle va bien à Consuegra, mais directement par Mora, alors que mon tracé passe par Sonseca, continue sur la 401 jusqu’à Los Yébenes puis bifurque par une petite route pour rejoindre Consuegra.
    Tant pis, continuons jusqu’à Mora ; de là, nous pourrons rejoindre Orgaz et récupérer la route projetée, avec une rallonge de dix kilomètres.
    Peu après la sortie de Tolède, nous entamons une côte qui nous dépose, au bout de ses six pentus kilomètres, sur un nouveau plateau.
    Pas de desayuno1 ce matin, nous avons préféré filer à l’anglaise pour éviter le plus possible les véhicules qui coulent toujours à flots aux abords des grandes cités ; mais en pensant bien, dès que tirés d’affaire et au plus tôt, nous arrêter pour prendre quelque ravitaillement.
    Le premier bar restaurant, nous le trouvons après douze kilomètres, il est fermé ; le deuxième après quinze, il est fermé aussi. Mon totalisateur continue d’accroître son capital distance et toujours rien en vue pour calmer nos estomacs qui crient famine. Le troisième bar – le compteur engrange inexorablement, il en est à vingt – est fermé comme les deux premiers…
    Les veillées doivent être longues, dans les chaumières, sur la route de Tolède à Mora !
    Il est neuf heures trente. Voilà deux heures que nous errons avec nos épigastres qui n’en peuvent mais, et je m’inquiète pour Stéphane, lorsqu’une station-service posée là par miracle, vient nous sauver de l’inanition…
    Nous faisons un petit plein.
    Un bien joli petit village que celui d’Almonacid de Toledo que la route, malheureusement, évite ; des maisons basses aux murs blanchis à la chaux et au loin, isolé et perché au sommet d’une colline, un vieux castillo. Un château parmi les châteaux en Espagne, ils sont nombreux, ils ont donné leur nom à la région ; « Castille » vient du mot « castillo ».
    La rare végétation, sèche, tout autour, et les vieilles briques, se confondent en un brun doré et offrent sous le ciel azur un panorama splendide.

    Ici, on fait du fromage ; à la sortie du village, une « Fábrica de quesos manchegos »2.


    1- petit déjeuner
    2- Fabrique de fromages de la Manche

    Nous avons vu de grands vignobles depuis ce matin ; d’immenses oliveraies nous entourent maintenant, parsemées ça et là de champs de céréales.
    Loin, très loin devant, des hauteurs, qui doivent probablement être les Monts de Tolède sur leur extrémité est.
    Le soleil donne, sur la route de Tolède à Mora.
    Après Mascaraque, nous laissons la CM400 qui contourne Mora. Pour aller au plus court prendre la CM410 vers Orgaz, nous entrons dans le village ; les rues sont larges, désertes et se croisent, et bien que l’agglomération ne soit pas importante, les carrefours posent problème, même sans voiture…
    Alors que nous hésitons entre deux directions, je vois arriver une dame, c’est la première âme que nous rencontrons. Elle traverse le carrefour, elle a un panier sous le bras ; une élégance, de la distinction, de la générosité émanent de cette personne. Elle est grande, se tient très droite ; son visage paraît fermé. Son parler, clair, limpide, son espagnol, cet accent, me disent quelque chose d’autre que la rue qu’elle nous indique pour aller à Orgaz, quelque chose que je ne peux définir.
    Cet échange bref, sur ce croisement de rues désert, pour quelle raison me laisse-t-il comme un goût amer ? Une étrange sensation m’envahit… étrange rencontre…

    Les trépidations de mon vélo me ramènent à la réalité, la rue est pavée ; ça secoue fortement ! Nous sommes sur un tronçon de voie qui sort de Mora et qui va rejoindre la CM410, deux kilomètres rectilignes, et pas âme qui vive. Mes pauvres fesses n’en peuvent mais et encaissent ! Nous empruntons, dès qu’il nous apparaît, sur notre gauche, un passage pour piétons bétonné !
    Estomacs tout à l’heure, fesses maintenant, décidément, nos organismes en prennent pour leur grade ce matin !
    La CM410 nous offre un peu plus de confort mais avant d’entrer dans Orgaz, les pavés ressurgissent. Les deux mulets, le troupeau de chèvres et le berger, dans le champ sur notre gauche, observent notre progression saccadée.
    Nous voilà sur la N401 que nous n’avons pas trouvée ce matin, nous voilà sur le tracé prévu et c’est la dame de tout à l’heure qui nous a remis sur notre chemin !

    D’abord à Mora, puis maintenant à Orgaz, je remarque que les larges portes d’entrée des habitations ont toutes un lourd rideau d’étoffe suspendu, souvent avec de grandes rayures verticales.
    Les maisons sont de plain-pied et bien blanches depuis ce matin. L’Andalousie se rapproche.

    Direction Los Yébenes ; nous nous sommes rapprochés de la chaîne des Monts de Tolède mais ils resteront à distance, à droite de notre parcours… Pas si à distance que cela, je vois au loin, avec effroi, notre route qui pénètre dans la colline, dans un grand trou rond tout noir ! On a troué cette éminence ou plus exactement ce que la carte indique comme Sierra de la Rabera dont le point culminant dépasse les mille mètres. Je les croyais tous derrière, en voilà un devant nous, de tunnel ! Pour laisser tranquille Los Yébenes, la N401 passe à gauche et de ce fait rentre dans la butte… Ce sera le plus long de notre voyage, un panneau indique neuf cents mètres !


    Notre chance c’est que l’ouvrage est tout récent et l’éclairage adéquat, du moins suffisant pour permettre à des cyclos de s’y aventurer ; mais avant d’y pénétrer, cela n’est pas si évident ! Je vais rouler devant, Stéphane qui éclaire ses feux dont les rouges à l’arrière, les plus vitaux, me suivra. Un passage de quatre-vingt centimètres nous permet de rouler à l’écart de la voie montante des véhicules qui ne sont pas foule en cet instant mais toujours est-il que notre mouvement s’est accéléré  !
    Au sortir de ce grand trou sombre, c’est un beau paysage qui nous attend. La carte indiquait des Molinos1 ; ils sont bien là, ce sont les premiers, tout en haut de la colline sous laquelle nous venons de passer. Aux flancs de celle-ci, des oliviers grimpent dans un alignement parfait, sur un tapis brun rouge d’une grande netteté.

    A hauteur de Los Yébenes, nous bifurquons direction mi-sud mi-est, par la CM4054 vers Consuegra ; la N401 continue plein sud jusqu’à Ciudad Real.
    La route suit un cordeau de vingt-sept kilomètres, tiré entre Los Yébenes et Consuegra, sans dévier ; une ligne droite parfaite. Elle commence bien, mais vite, devient chaotique. Il y a bien longtemps qu’aucun travail de réfection n’a été entrepris ici ou alors du bricolage de dernière minute ; c’est un désastre ! Des rapiéçages surabondants de bitume pour combler les plus gros trous, d’où les bosses ; restent les petits, mais tous sont à éviter. Rajoutons la déclivité en léger faux plat montant, un petit vent de sud-est, autrement dit complètement contraire et nous voilà avec un bon morceau de pain noir qui tranche de nos derniers calmes plats.
    Pour la troisième fois ce matin, une rehausse de la route nous fait surplomber la ligne de la RENFE Madrid-Séville.
    Aucune habitation, du macadam et des trous mal ou pas bouchés ; seuls quelques hauts chardons nous tiennent compagnie, en bordure de route ; sinon, tout autour de nous, des vignes, et au loin, des oliviers agrippés aux collines.
    Et toujours cette longue, démoralisante ligne droite qui n’en finit jamais.

    Enfin une présence humaine à proximité de cette carretera. Trois ouvriers sont penchés sur les pieds de vigne.
    Nous levons haut nos bras, les mains tendues. « ¡ Hola ! ».
    Ils se relèvent. « ¡ Hola ! ».
    Les saluts sont sincères.


    ♫ Quand on ouvre nos mains
    Suffit de rien dix fois rien
    Suffit d’une ou deux secondes
    A peine un geste, un autre monde
    Quand on ouvre nos mains

    Mécanique simple et facile
    Des veines et dix métacarpiens
    Des phalanges aux tendons dociles
    Et tu relâches ou bien tu retiens

    Un simple geste d’humain
    Quand se desserrent ainsi nos poings
    Quand s’écartent nos phalanges
    Sans méfiance, une arme d’échange
    Des champs de bataille en jardin ♫

    1- Moulins

    Leur camionnette stationne un peu plus loin, carrément dans la vigne ; ils sont venus travailler là pour la journée, il y a le matériel de leur pique-nique, de petites chaises pliantes, la glacière, et par terre, entre les roues arrière du véhicule, je crois reconnaître un ustensile… Après avoir dépassé le « campement », je me retourne ; c’est bien ça, ils ont posé sur le sol une gargoulette, elle est à l’ombre et au courant d’air. Ils maintiennent ainsi le contenu de la cruche de terre le plus au frais possible.

    Au loin, un petit camion, côté opposé au nôtre, semble arrêté ; des personnes vont et viennent ! C’est le premier véhicule, depuis qu’on godille avec nos vélos sur cette piste, que l’on va croiser. C’est un camion de chantier, on colmate encore ; pour la « n ième » fois, on rapièce. Un ouvrier, depuis la benne, projette quelques pelletées de goudron ; les autres, au sol, font des pâtés par ci, peinturlurent le macadam par là.
    Nouveaux gestes, ¡ Hola ! de ci, ¡ Hola ! de là ; mécanique simple et facile.
    Ils ont dû démarrer de Consuegra il n’y a pas longtemps, on aperçoit la ville.
    Mais pourquoi donc avoir sélectionné la N401 et cette CM4054 qui n’est qu’une petite carretera blanche sur la carte ? En fait, elle est surlignée d’un trait vert qui signifie « Recorrido pintoresco »1.
    Ne serait-ce que pour saluer ces ouvriers dans les vignes et découvrir les premiers moulins, cela valait le détour !
    Ainsi va la route, avec ses aléas, ses tourments… ses rencontres aussi ; et par un simple geste, ses élans de sympathie.

    Avec soulagement, nous entrons dans Consuegra, ville blanche aux toits roses ; on en a fini avec cette pénible et douloureuse CM4054.
    La rue principale est bordée de lauriers roses ; ici aussi la Plaza de España et l’Ayuntamiento. Le río Amarguillo partage la cité en deux ; la ville est dominée par une colline aride ; sur la crête de celle-ci, une douzaine de moulins à vent paraissent grimper vers el castillo perché tout en haut.
    Sur la place, côté sud de la ville, où nous nous sommes arrêtés et d’où je peux prendre les moulins en enfilade qui montent à l’assaut du château, un villageois nous conseille de monter là-haut a ver los molinos 2. Le dénommé Sancho conserve, paraît-il, sa machinerie datant du seizième siècle, en parfait état. Une fois par an, à l’occasion de la Fiesta de la Rosa del Azafrán 3, on ouvre les petites fenêtres de ce moulin, on oriente ses ailes et la pierre moud le grain…
    El azafrán est la grande spécialité de Consuegra, « la flor que nace al salir el sol y muere al caer la tarde »4.


    1- Parcours pittoresque
    2- pour voir les moulins
    3- Fête de la Rose du Safran
    4- la fleur qui naît au lever du soleil et meurt lorsque finit l’après-midi

     

    Nous ne grimperons pas voir Sancho et ses compagnons, il n’est pas loin de treize heures et c’est à Madridejos que nous déjeunons, c’est là-bas que se trouve le restaurant Contreras. D’autres moulins nous attendent ce soir.
    Madridejos n’est qu’à sept kilomètres d’ici, par la CM400, la route sur laquelle nous nous sommes retrouvés par erreur ce matin et que nous avons abandonnée.
    Mais voilà qu’on s’égare encore, notre chemin est un cul-de-sac et nous nous retrouvons en bout d’une zone industrielle. Devant le grillage, nous faisons triste figure. La CM400 nous bouderait-elle ?

    « J’ai déjeuné à l’hôtel Contreras de Madridejos… » écrivait Marie-Louise…
    Marie-Louise avait été la seule à répondre à une annonce que j’avais passée dans la revue «Cyclotourisme» de la Fédération Française de Cyclotourisme et dans laquelle je demandais si des cyclos avaient déjà suivi un itinéraire semblable au mien, histoire d’avoir quelques bons tuyaux. En 1994, elle avait fait Paris-Gibraltar en solo et elle me transmettait le récit de son voyage ; quelques étapes présentaient des similitudes avec celui que j’avais prévu.
    Nous entrons dans Madridejos, ici aussi on cultive l’azafrán, il est treize heures vingt. Nous la traversons d’ouest en est sans trouver d’hôtel Contreras. Il faut sortir de la ville, nous dira-t-on ; pas le temps de s’attarder et de l’apprécier, trop préoccupés par notre restaurateur du jour et par nos estomacs qui réclament pitance.

    La partie inférieure du « C » est prolongée et souligne leur nom – le mien – écrit en énormes lettres majuscules, un peu à la façon de certaines signatures de la famille. CONTRERAS est en bleu sur fond blanc, BAR RESTAURANTE en blanc sur fond bleu, le tout est très visible de loin. L’ombre, au pied du mur blanc, est naissante mais suffisamment large pour y laisser reposer nos montures. Le bâtiment, blanc, ne paie pas de mine ; ses abords terreux, blancs, sont poussiéreux, mes paupières se plissent ; le soleil est haut.
    L’établissement est légèrement en retrait par rapport à la grand route ; l’abri pour voitures est désert. L’heure n’est pas très avancée pour la fréquentation des restaurants, il est treize heures quarante. Je relève quatre-vingt-onze sur mon compteur.
    Bar et restaurant sont au sous-sol, la décoration est originale , elle est préhistorique. Nous sommes dans une grotte artificielle ; les murs, les piliers semblent taillés dans le roc. Les éclairages, au plafond, simulent des stalactites. Les assiettes ne sont pas d’époque, elles portent le nom du propriétaire.
    Au jeune qui vient prendre commande, il a vingt-cinq ans, je demande si j’ai à faire à monsieur Contreras.
    « ¿ Es usted el señor Contreras ? »1
    « ¡ Si, pero soy el hijo ! »2
    « ¡ Yo también soy Contreras ! »3
    Il me dit que sa famille est de Tolède et que par ici les Contreras sont plutôt rares, son nom est plus répandu en Andalousie et en Catalogne.
    Son père n’est pas là. Je le questionne sur une cyclote passée chez eux, il y a six ans. Il ne se souvient pas de Marie-Louise.


    1- Vous êtes monsieur Contreras ?
    2- Oui, mais je suis le fils !
    3- Moi aussi je suis Contreras !


    Le menu du jour est bon marché , mille pesetas, et qui plus est, copieux ; nous terminons avec un arroz con leche1, un vrai régal !
    A un autre jeune homme, au bar, nous réglons la cuenta, sur celle-ci ne figurent pas les boissons ; sympa les Contreras de Madridejos !
    Nous lui demandons de remplir nos bidons.
    « Soy el segundo Contreras »2 me dit-il !
    C’est le frère du jeune qui nous a servi, celui-ci a dû l’informer qu’un homonyme français était parmi les clients. Il doit être un peu plus âgé, il est surtout plus prolixe et moins timide.
    De prime abord, il n’y paraît pas, mais l’établissement fait discoteca3. L’aîné des Contreras nous propose de nous la faire visiter. Elle jouxte la salle du restaurant.
    Une grande caverne noire soudain s’illumine ; même si ça n’est pas le genre d’endroit que j’ai beaucoup fréquenté, leur salle de danse est superbe, toujours dans le style caverne. D’énormes stalactites sont suspendues au plafond de la scène, décor anachronique en regard de l’activité ambiante. Vingt-deux ans qu’on y danse ; ingénieux Contreras… il a fait en sorte que l’entretien soit réduit au strict minimum.
    Lorsque Marie-Louise a déjeuné ici, c’était le père qui officiait sûrement. Maintenant, il a cédé sa place à ses deux fils, il leur a passé le relais. Celui qui bavarde avec nous poursuit toujours des études ; début juin, il était encore en Angleterre.
    La poignée de main, avant de quitter ces deux jeunes gens, est fraternelle.

    La luminosité et la chaleur du dehors nous surprennent, au sortir de notre cavité tempérée. Il est quinze heures quinze.
    La CM400 qui était rouge et large jusqu’à Madridejos, se rétrécit et devient jaune pour aller, direction est, à Alcázar de San Juan, distante d’une trentaine de kilomètres ; nous arriverons à l’étape ! De là, nous irons faire un petit crochet pour aller voir los Molinos de Campo de Criptana qui se situe plus à l’est de la trajectoire prévue. Nous allons imiter en cela Marie-Louise…
    Nous passons Camuñas, le soleil donne toujours ; la route est plate mais le vent nous contrarie légèrement. La température de l’eau de nos bidons s’est très vite élevée. A Villafranca de los Caballeros, un arrêt s’impose pour renouveler notre eau devenue trop chaude ; pourtant, pas très loin, une multitude de lagunas, petits lacs, s’étale autour du río Cigüela.
    L’odeur des cochons, à proximité des villages nous est maintenant devenue familière.

    La route est à nouveau rectiligne ; les étendues qui nous entourent sont plates mais parsemées ça et là de collines. Sur celle qui est tout au loin devant nous, on distingue des tâches blanches, serait-ce el Campo de Criptana ? Mais une importante bourgade nous apparaît, déposée de part et d’autre de notre chemin, blanche. Une verrue brun foncé, en plein centre, qui émerge au-dessus de la ligne blanche, dépare ce beau village de la Mancha qu’est Alcázar. On découvrira plus tard qu’il s’agit des bâtiments de l’hôpital !
    Nous venons d’entrer dans la provincia de Ciudad Real.
    Quelques coups de pédale de plus et nous entrons dans Alcázar ; il est dix-sept heures trente.


    1- riz au lait
    2- Je suis le deuxième Contreras
    3- discothèque


    Ils sont là, immobiles, tout de bronze fondus, les héros que Cervantès a lancés sur les chemins de la Manche, à hauteur d’homme, face à la grand place ; qui ne connaît pas l’ingénieux hidalgo et son fidèle serviteur ?
    Premier best-seller de l’édition et premier livre en castillan, Don Quichotte, après la Bible, a atteint paraît-il, le record absolu des tirages. Pourtant, une seule logique que celle qui guide Alonso Quijano, el caballero andante1, celle de la déraison…
    « Je ne veux pas suivre le commun usage… »
    J’ai hâte de suivre un peu de leurs errances.
    Mais auparavant, nous allons nous mettre à la recherche de l’abri pour la nuit, abri qui pourrait être l’hostal Numancia et dont j’ai l’adresse.
    La ville est paisible. Nous tournicotons, ou plus exactement tournons autour du pot, en l’occurrence autour de l’avenida de Criptana2 et de son numéro onze. Finalement, on décide d’abandonner l’idée de coucher au Numancia et on arrête nos tergiversations près d’une pension, à proximité de l’hôtel Don Quijote, où séjournait Marie-Louise, il y a six ans. Mais en fait, cette pension, devant laquelle on est passé plusieurs fois sans s’y arrêter, c’est bien l’hostal Numancia ! Nous ne voyions que le panonceau comportant un « P » et une étoile, caractéristique des pensiones et pas d’affichage Hostal Numancia !
    Le prix de la habitación doble est de trois mille huit cents pesetas, c’est raisonnable, mais il faudra lui ajouter quatre cents pesetas pour garer les deux vélos, ceux-ci occupant, d’après l’hôtelier, une place de voiture ! Décidément, ils sont futés à la ville ; un peu trop à mon goût, ces mercantis…
    Le parking est cette fois un garage attenant à l’hostal.
    Nous débâtons nos engins, déposons nos bagages promptement, et sus aux moulins ! Campo de Criptana se trouve à une douzaine de kilomètres.
    Nous sommes surpris par la soudaine légèreté de nos rossinantes efflanquées mais pour l’assaut que nous avons projeté, cela est de bon augure… d’autant que la route est un faux plat montant et qu’un vent de face nous freine.
    Une vision incongrue, sur notre droite, peu après Alcázar, que je veux vite oublier : des cuves avec l’inscription HCl, j’ai du mal à admettre mais peut-être ai-je la berlue, de l’acide ici, j’ai dû mal lire !
    Sur la colline là-bas, nos petits points blancs surmontés de leur minuscule chapeau noir ont grossi, on distingue pléthore de moulins alignés.

    « Ves allí, amigo Sancho Panza, donde se descubren treinta o pocos más desaforados gigantes, con quien pienso hacer batalla y quitarles a todos las vidas… »3

    « ¿Qué gigantes ? » dijo Sancho.4

    Aujourd’hui, ils sont une dizaine à coiffer la petite sierra qui domine les plaines environnantes, ils surplombent le pittoresque village de Campo de Criptana agrippé au flanc de la colline, village aux rues blanches, larges et pentues.


    1- le chevalier errant
    2- avenue de Criptana
    3- Regarde là-bas, ami Sancho Panza, où se découvrent trente ou quelque peu plus démesurés géants, avec lesquels je pense avoir combat et leur ôter la vie à tous…
    4- Quels géants ? dit Sancho

    Nous laissons les vélos à la Fuente del Caño, fontaine où il y a abondance de guêpes assoiffées, et pas âme qui vive. De là, nous gravissons le sommet de la colline. Le site est d’une beauté et d’une luminosité rares, les couleurs se marient divinement.
    Les ailes des moulins déployées face à l’immense Sud, scrutent l’horizon. Là, l’homme a su, avec parcimonie, en voulant l’utile, embellir une nature dénudée. Nous sommes bien petits au pied de ces bâtisses blanches capuchonnées de noir, sous ce ciel grand bleu de Castille ; mais l’air que l’on respire ici, fait de nous de bienheureux géants...
    On est ailleurs… et partout je mitraille…
    Cela ne se voit pas outre mesure, mais traînent çà et là, sous les herbes sèches, des débris de verre… C’est la première fois depuis le passage de la frontière que nous trouvons ce genre de souillure, trace de quelques désaxés qui ont aussi, dans ces lieux grandioses, droit de cité.

    Nous quittons le site et ses démesurés géants qui datent, pour les plus anciens, du seizième siècle. L’auteur de « El Quijote » s’inspira de l’endroit ; son héros, sous l’effet du délire, métamorphosa ces moulins à vent en géants pour les combattre et « leur ôter la vie à tous », et entra avec eux « en une furieuse et inégale bataille ».
    Aujourd’hui, « Infanto », « Burleta » et « Sardinero » conservent leurs structure et mécanismes originels et ont été déclarés monuments historiques ; un quatrième fait office de tourisme, les autres servent de musée.
    Nous donnons des éperons à nos montures pour regagner Alcázar. Cette fois, le vent nous est favorable.
    Nous sommes de retour à la pension à vingt heures ; je mets mon compteur à zéro, il a comptabilisé ce jour cent cinquante et un kilomètres, dont quelques errances.

    Pendant que Stéphane me succède dans la salle de bains, j’erre encore, en quête d’une cabine téléphonique, sur l’avenida de Criptana. Il y a affluence maintenant, il est l’heure.
    Et j’avance… en vain, chose inhabituelle en Espagne où les cabines prolifèrent ; lorsque j’aperçois un panneau indiquant « estación de ferrocarril »1 ; là, je trouve ce que je cherche. La gare est imposante, Alcázar est un grand nœud ferroviaire, elle est de plus très élégante.
    Je suis dans une des cabines, mais maintenant c’est ma dulcinée qui est aux abonnés absents… Mes tentatives n’aboutissent pas, ça sonne sur son portable mais la communication ne passe pas. Michèle et Aurélie ont entamé leur parcours ce matin pour Grenade, par l’autoroute qui longe la côte. J’essaye auprès du relais convenu, prévu dans ce cas. J’apprends par Attuech (beaux-parents dans le Gard) qu’elles sont à Salou et qu’arrivées tôt dans l’après-midi, elles ont pu jouer les naïades, sous les palmiers.

    Nous reviendrons dans le quartier de la gare tout à l’heure.

    Le patron du bistrot où nous savourons una cerveza était désolé quand il nous a servi ; il ne lui restait plus de verre réfrigéré ! Ici, on sert la bière dans des verres au préalable refroidis, pour la déguster très fraîche.
    El menú del día à mille pesetas, fera l’affaire ce soir, à la Casa Paco. Mais Stéphane qui n’a pas eu sa ration, complètera avec un bocadillo de chorizo. Le dîner sera plus calme que celui d’hier, à Tolède.

    1- gare

     

    De retour, le ciel de Castille est toujours aussi pur, il est constellé d’étoiles.

    Après le répit que l’on s’est accordé hier, aujourd’hui a été une nouvelle grande étape, toute la sainte journée sur la route…
    Mais qu’est ce qui nous fait pédaler ? Notre quête, c’est le voyage… modestement, courir le monde, comme le héros de Cervantès qui décide d’aller chercher l’aventure sur les plaines de sa Manche. C’est là, la vérité de Don Quichotte et non pas celle du pantin désarticulé que les ailes du moulin envoient rouler dans la poussière. Il persévère sans désemparer ; nous l’allons suivre, Grenade est devenue ce soir un peu plus accessible ; est-ce elle, notre quête ?
    Avant de m’endormir, je pense à « L’homme de la Mancha »…


    Rêver un impossible rêve
    Porter le chagrin des départs
    Brûler d’une possible fièvre
    Partir où personne ne part
    Aimer jusqu’à la déchirure
    Aimer, même trop, même mal,
    Tenter sans force et sans armure,
    D’atteindre l’inaccessible étoile
    Telle est ma quête,
    Suivre l’étoile
    Peu m’importent mes chances
    Peu m’importe le temps
    Ou ma désespérance
    Et puis lutter toujours
    Sans questions ni repos
    Se damner
    Pour l’or d’un mot d’amour
    Je ne sais si je serai ce héros
    Mais mon cœur serait tranquille
    Et les villes s’éclabousseraient de bleu
    Parce qu’un malheureux
    Brûle encore, bien qu’ayant tout brûlé
    Brûle encore, même trop, même mal
    Pour atteindre à s’en écarteler
    Pour atteindre l’inaccessible étoile


    Six pieds sous terre, Jacques, tu chantes encore.

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     Le Chevalier à la Triste Figure

     

    Pour demain, on a prévu une étape d’environ cent vingt kilomètres qui devrait nous conduire à Villamanrique… Mais demain est un autre jour et on ne sait jamais de quoi demain sera fait…

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

    Un château parmi les châteaux en Espagne.

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     

     

     

     

     

     

     

    Des oliviers grimpent dans un alignement parfait, sur un tapis brun rouge d'une grande netteté.

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     

     

     

     

     

     

     

     Consuegra est dominée par une colline aride.

                                                                               Mes paupières se plissent, le soleil est haut ;                                                                     une ombre naissante pour le repos de nos montures.

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     

     

     

     

     

     

     

    La grand place, à Alcázar de San Juan, qui ne connaît pas l'ingénieux hidalgo et son fidèle serviteur ?

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     

     

     

     

     

     

     

    On distingue pléthore de moulins alignés.               Le site est d'une beauté et d'une luminosité rares.

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     L'air que l'on respire ici fait de nous de bienheureux géants... On est ailleurs... et partout je mitraille.

     

     

     

     

     


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