• Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants,

    en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     

    Sept heures trente, Tolède n'est pas encore réveillée ; nous avons fait tout notre possible pour ne pas faire de bruit à la pension.
    Nous laissons les rues pavées et vides de la cité, l’air est frisquet.
    J’ai renoncé à ma petite route par Cobisa…
    Nous prendrons de suite la nationale 401 ; je connais le chemin, il nous faut aller jusque chez Moreno ; après, ce sera la direction de Ciudad Real.
    Au sortir des remparts, le rythme frénétique de la circulation nous cueille, à froid. Il suffit de passer le pont, et la N401 est là, puis moult voies et des embranchements…
    Et bien vite, nous nous apercevons que nous ne sommes plus sur la N401 mais sur la CM400 ! Elle va bien à Consuegra, mais directement par Mora, alors que mon tracé passe par Sonseca, continue sur la 401 jusqu’à Los Yébenes puis bifurque par une petite route pour rejoindre Consuegra.
    Tant pis, continuons jusqu’à Mora ; de là, nous pourrons rejoindre Orgaz et récupérer la route projetée, avec une rallonge de dix kilomètres.
    Peu après la sortie de Tolède, nous entamons une côte qui nous dépose, au bout de ses six pentus kilomètres, sur un nouveau plateau.
    Pas de desayuno1 ce matin, nous avons préféré filer à l’anglaise pour éviter le plus possible les véhicules qui coulent toujours à flots aux abords des grandes cités ; mais en pensant bien, dès que tirés d’affaire et au plus tôt, nous arrêter pour prendre quelque ravitaillement.
    Le premier bar restaurant, nous le trouvons après douze kilomètres, il est fermé ; le deuxième après quinze, il est fermé aussi. Mon totalisateur continue d’accroître son capital distance et toujours rien en vue pour calmer nos estomacs qui crient famine. Le troisième bar – le compteur engrange inexorablement, il en est à vingt – est fermé comme les deux premiers…
    Les veillées doivent être longues, dans les chaumières, sur la route de Tolède à Mora !
    Il est neuf heures trente. Voilà deux heures que nous errons avec nos épigastres qui n’en peuvent mais, et je m’inquiète pour Stéphane, lorsqu’une station-service posée là par miracle, vient nous sauver de l’inanition…
    Nous faisons un petit plein.
    Un bien joli petit village que celui d’Almonacid de Toledo que la route, malheureusement, évite ; des maisons basses aux murs blanchis à la chaux et au loin, isolé et perché au sommet d’une colline, un vieux castillo. Un château parmi les châteaux en Espagne, ils sont nombreux, ils ont donné leur nom à la région ; « Castille » vient du mot « castillo ».
    La rare végétation, sèche, tout autour, et les vieilles briques, se confondent en un brun doré et offrent sous le ciel azur un panorama splendide.

    Ici, on fait du fromage ; à la sortie du village, une « Fábrica de quesos manchegos »2.


    1- petit déjeuner
    2- Fabrique de fromages de la Manche

    Nous avons vu de grands vignobles depuis ce matin ; d’immenses oliveraies nous entourent maintenant, parsemées ça et là de champs de céréales.
    Loin, très loin devant, des hauteurs, qui doivent probablement être les Monts de Tolède sur leur extrémité est.
    Le soleil donne, sur la route de Tolède à Mora.
    Après Mascaraque, nous laissons la CM400 qui contourne Mora. Pour aller au plus court prendre la CM410 vers Orgaz, nous entrons dans le village ; les rues sont larges, désertes et se croisent, et bien que l’agglomération ne soit pas importante, les carrefours posent problème, même sans voiture…
    Alors que nous hésitons entre deux directions, je vois arriver une dame, c’est la première âme que nous rencontrons. Elle traverse le carrefour, elle a un panier sous le bras ; une élégance, de la distinction, de la générosité émanent de cette personne. Elle est grande, se tient très droite ; son visage paraît fermé. Son parler, clair, limpide, son espagnol, cet accent, me disent quelque chose d’autre que la rue qu’elle nous indique pour aller à Orgaz, quelque chose que je ne peux définir.
    Cet échange bref, sur ce croisement de rues désert, pour quelle raison me laisse-t-il comme un goût amer ? Une étrange sensation m’envahit… étrange rencontre…

    Les trépidations de mon vélo me ramènent à la réalité, la rue est pavée ; ça secoue fortement ! Nous sommes sur un tronçon de voie qui sort de Mora et qui va rejoindre la CM410, deux kilomètres rectilignes, et pas âme qui vive. Mes pauvres fesses n’en peuvent mais et encaissent ! Nous empruntons, dès qu’il nous apparaît, sur notre gauche, un passage pour piétons bétonné !
    Estomacs tout à l’heure, fesses maintenant, décidément, nos organismes en prennent pour leur grade ce matin !
    La CM410 nous offre un peu plus de confort mais avant d’entrer dans Orgaz, les pavés ressurgissent. Les deux mulets, le troupeau de chèvres et le berger, dans le champ sur notre gauche, observent notre progression saccadée.
    Nous voilà sur la N401 que nous n’avons pas trouvée ce matin, nous voilà sur le tracé prévu et c’est la dame de tout à l’heure qui nous a remis sur notre chemin !

    D’abord à Mora, puis maintenant à Orgaz, je remarque que les larges portes d’entrée des habitations ont toutes un lourd rideau d’étoffe suspendu, souvent avec de grandes rayures verticales.
    Les maisons sont de plain-pied et bien blanches depuis ce matin. L’Andalousie se rapproche.

    Direction Los Yébenes ; nous nous sommes rapprochés de la chaîne des Monts de Tolède mais ils resteront à distance, à droite de notre parcours… Pas si à distance que cela, je vois au loin, avec effroi, notre route qui pénètre dans la colline, dans un grand trou rond tout noir ! On a troué cette éminence ou plus exactement ce que la carte indique comme Sierra de la Rabera dont le point culminant dépasse les mille mètres. Je les croyais tous derrière, en voilà un devant nous, de tunnel ! Pour laisser tranquille Los Yébenes, la N401 passe à gauche et de ce fait rentre dans la butte… Ce sera le plus long de notre voyage, un panneau indique neuf cents mètres !


    Notre chance c’est que l’ouvrage est tout récent et l’éclairage adéquat, du moins suffisant pour permettre à des cyclos de s’y aventurer ; mais avant d’y pénétrer, cela n’est pas si évident ! Je vais rouler devant, Stéphane qui éclaire ses feux dont les rouges à l’arrière, les plus vitaux, me suivra. Un passage de quatre-vingt centimètres nous permet de rouler à l’écart de la voie montante des véhicules qui ne sont pas foule en cet instant mais toujours est-il que notre mouvement s’est accéléré  !
    Au sortir de ce grand trou sombre, c’est un beau paysage qui nous attend. La carte indiquait des Molinos1 ; ils sont bien là, ce sont les premiers, tout en haut de la colline sous laquelle nous venons de passer. Aux flancs de celle-ci, des oliviers grimpent dans un alignement parfait, sur un tapis brun rouge d’une grande netteté.

    A hauteur de Los Yébenes, nous bifurquons direction mi-sud mi-est, par la CM4054 vers Consuegra ; la N401 continue plein sud jusqu’à Ciudad Real.
    La route suit un cordeau de vingt-sept kilomètres, tiré entre Los Yébenes et Consuegra, sans dévier ; une ligne droite parfaite. Elle commence bien, mais vite, devient chaotique. Il y a bien longtemps qu’aucun travail de réfection n’a été entrepris ici ou alors du bricolage de dernière minute ; c’est un désastre ! Des rapiéçages surabondants de bitume pour combler les plus gros trous, d’où les bosses ; restent les petits, mais tous sont à éviter. Rajoutons la déclivité en léger faux plat montant, un petit vent de sud-est, autrement dit complètement contraire et nous voilà avec un bon morceau de pain noir qui tranche de nos derniers calmes plats.
    Pour la troisième fois ce matin, une rehausse de la route nous fait surplomber la ligne de la RENFE Madrid-Séville.
    Aucune habitation, du macadam et des trous mal ou pas bouchés ; seuls quelques hauts chardons nous tiennent compagnie, en bordure de route ; sinon, tout autour de nous, des vignes, et au loin, des oliviers agrippés aux collines.
    Et toujours cette longue, démoralisante ligne droite qui n’en finit jamais.

    Enfin une présence humaine à proximité de cette carretera. Trois ouvriers sont penchés sur les pieds de vigne.
    Nous levons haut nos bras, les mains tendues. « ¡ Hola ! ».
    Ils se relèvent. « ¡ Hola ! ».
    Les saluts sont sincères.


    ♫ Quand on ouvre nos mains
    Suffit de rien dix fois rien
    Suffit d’une ou deux secondes
    A peine un geste, un autre monde
    Quand on ouvre nos mains

    Mécanique simple et facile
    Des veines et dix métacarpiens
    Des phalanges aux tendons dociles
    Et tu relâches ou bien tu retiens

    Un simple geste d’humain
    Quand se desserrent ainsi nos poings
    Quand s’écartent nos phalanges
    Sans méfiance, une arme d’échange
    Des champs de bataille en jardin ♫

    1- Moulins

    Leur camionnette stationne un peu plus loin, carrément dans la vigne ; ils sont venus travailler là pour la journée, il y a le matériel de leur pique-nique, de petites chaises pliantes, la glacière, et par terre, entre les roues arrière du véhicule, je crois reconnaître un ustensile… Après avoir dépassé le « campement », je me retourne ; c’est bien ça, ils ont posé sur le sol une gargoulette, elle est à l’ombre et au courant d’air. Ils maintiennent ainsi le contenu de la cruche de terre le plus au frais possible.

    Au loin, un petit camion, côté opposé au nôtre, semble arrêté ; des personnes vont et viennent ! C’est le premier véhicule, depuis qu’on godille avec nos vélos sur cette piste, que l’on va croiser. C’est un camion de chantier, on colmate encore ; pour la « n ième » fois, on rapièce. Un ouvrier, depuis la benne, projette quelques pelletées de goudron ; les autres, au sol, font des pâtés par ci, peinturlurent le macadam par là.
    Nouveaux gestes, ¡ Hola ! de ci, ¡ Hola ! de là ; mécanique simple et facile.
    Ils ont dû démarrer de Consuegra il n’y a pas longtemps, on aperçoit la ville.
    Mais pourquoi donc avoir sélectionné la N401 et cette CM4054 qui n’est qu’une petite carretera blanche sur la carte ? En fait, elle est surlignée d’un trait vert qui signifie « Recorrido pintoresco »1.
    Ne serait-ce que pour saluer ces ouvriers dans les vignes et découvrir les premiers moulins, cela valait le détour !
    Ainsi va la route, avec ses aléas, ses tourments… ses rencontres aussi ; et par un simple geste, ses élans de sympathie.

    Avec soulagement, nous entrons dans Consuegra, ville blanche aux toits roses ; on en a fini avec cette pénible et douloureuse CM4054.
    La rue principale est bordée de lauriers roses ; ici aussi la Plaza de España et l’Ayuntamiento. Le río Amarguillo partage la cité en deux ; la ville est dominée par une colline aride ; sur la crête de celle-ci, une douzaine de moulins à vent paraissent grimper vers el castillo perché tout en haut.
    Sur la place, côté sud de la ville, où nous nous sommes arrêtés et d’où je peux prendre les moulins en enfilade qui montent à l’assaut du château, un villageois nous conseille de monter là-haut a ver los molinos 2. Le dénommé Sancho conserve, paraît-il, sa machinerie datant du seizième siècle, en parfait état. Une fois par an, à l’occasion de la Fiesta de la Rosa del Azafrán 3, on ouvre les petites fenêtres de ce moulin, on oriente ses ailes et la pierre moud le grain…
    El azafrán est la grande spécialité de Consuegra, « la flor que nace al salir el sol y muere al caer la tarde »4.


    1- Parcours pittoresque
    2- pour voir les moulins
    3- Fête de la Rose du Safran
    4- la fleur qui naît au lever du soleil et meurt lorsque finit l’après-midi

     

    Nous ne grimperons pas voir Sancho et ses compagnons, il n’est pas loin de treize heures et c’est à Madridejos que nous déjeunons, c’est là-bas que se trouve le restaurant Contreras. D’autres moulins nous attendent ce soir.
    Madridejos n’est qu’à sept kilomètres d’ici, par la CM400, la route sur laquelle nous nous sommes retrouvés par erreur ce matin et que nous avons abandonnée.
    Mais voilà qu’on s’égare encore, notre chemin est un cul-de-sac et nous nous retrouvons en bout d’une zone industrielle. Devant le grillage, nous faisons triste figure. La CM400 nous bouderait-elle ?

    « J’ai déjeuné à l’hôtel Contreras de Madridejos… » écrivait Marie-Louise…
    Marie-Louise avait été la seule à répondre à une annonce que j’avais passée dans la revue «Cyclotourisme» de la Fédération Française de Cyclotourisme et dans laquelle je demandais si des cyclos avaient déjà suivi un itinéraire semblable au mien, histoire d’avoir quelques bons tuyaux. En 1994, elle avait fait Paris-Gibraltar en solo et elle me transmettait le récit de son voyage ; quelques étapes présentaient des similitudes avec celui que j’avais prévu.
    Nous entrons dans Madridejos, ici aussi on cultive l’azafrán, il est treize heures vingt. Nous la traversons d’ouest en est sans trouver d’hôtel Contreras. Il faut sortir de la ville, nous dira-t-on ; pas le temps de s’attarder et de l’apprécier, trop préoccupés par notre restaurateur du jour et par nos estomacs qui réclament pitance.

    La partie inférieure du « C » est prolongée et souligne leur nom – le mien – écrit en énormes lettres majuscules, un peu à la façon de certaines signatures de la famille. CONTRERAS est en bleu sur fond blanc, BAR RESTAURANTE en blanc sur fond bleu, le tout est très visible de loin. L’ombre, au pied du mur blanc, est naissante mais suffisamment large pour y laisser reposer nos montures. Le bâtiment, blanc, ne paie pas de mine ; ses abords terreux, blancs, sont poussiéreux, mes paupières se plissent ; le soleil est haut.
    L’établissement est légèrement en retrait par rapport à la grand route ; l’abri pour voitures est désert. L’heure n’est pas très avancée pour la fréquentation des restaurants, il est treize heures quarante. Je relève quatre-vingt-onze sur mon compteur.
    Bar et restaurant sont au sous-sol, la décoration est originale , elle est préhistorique. Nous sommes dans une grotte artificielle ; les murs, les piliers semblent taillés dans le roc. Les éclairages, au plafond, simulent des stalactites. Les assiettes ne sont pas d’époque, elles portent le nom du propriétaire.
    Au jeune qui vient prendre commande, il a vingt-cinq ans, je demande si j’ai à faire à monsieur Contreras.
    « ¿ Es usted el señor Contreras ? »1
    « ¡ Si, pero soy el hijo ! »2
    « ¡ Yo también soy Contreras ! »3
    Il me dit que sa famille est de Tolède et que par ici les Contreras sont plutôt rares, son nom est plus répandu en Andalousie et en Catalogne.
    Son père n’est pas là. Je le questionne sur une cyclote passée chez eux, il y a six ans. Il ne se souvient pas de Marie-Louise.


    1- Vous êtes monsieur Contreras ?
    2- Oui, mais je suis le fils !
    3- Moi aussi je suis Contreras !


    Le menu du jour est bon marché , mille pesetas, et qui plus est, copieux ; nous terminons avec un arroz con leche1, un vrai régal !
    A un autre jeune homme, au bar, nous réglons la cuenta, sur celle-ci ne figurent pas les boissons ; sympa les Contreras de Madridejos !
    Nous lui demandons de remplir nos bidons.
    « Soy el segundo Contreras »2 me dit-il !
    C’est le frère du jeune qui nous a servi, celui-ci a dû l’informer qu’un homonyme français était parmi les clients. Il doit être un peu plus âgé, il est surtout plus prolixe et moins timide.
    De prime abord, il n’y paraît pas, mais l’établissement fait discoteca3. L’aîné des Contreras nous propose de nous la faire visiter. Elle jouxte la salle du restaurant.
    Une grande caverne noire soudain s’illumine ; même si ça n’est pas le genre d’endroit que j’ai beaucoup fréquenté, leur salle de danse est superbe, toujours dans le style caverne. D’énormes stalactites sont suspendues au plafond de la scène, décor anachronique en regard de l’activité ambiante. Vingt-deux ans qu’on y danse ; ingénieux Contreras… il a fait en sorte que l’entretien soit réduit au strict minimum.
    Lorsque Marie-Louise a déjeuné ici, c’était le père qui officiait sûrement. Maintenant, il a cédé sa place à ses deux fils, il leur a passé le relais. Celui qui bavarde avec nous poursuit toujours des études ; début juin, il était encore en Angleterre.
    La poignée de main, avant de quitter ces deux jeunes gens, est fraternelle.

    La luminosité et la chaleur du dehors nous surprennent, au sortir de notre cavité tempérée. Il est quinze heures quinze.
    La CM400 qui était rouge et large jusqu’à Madridejos, se rétrécit et devient jaune pour aller, direction est, à Alcázar de San Juan, distante d’une trentaine de kilomètres ; nous arriverons à l’étape ! De là, nous irons faire un petit crochet pour aller voir los Molinos de Campo de Criptana qui se situe plus à l’est de la trajectoire prévue. Nous allons imiter en cela Marie-Louise…
    Nous passons Camuñas, le soleil donne toujours ; la route est plate mais le vent nous contrarie légèrement. La température de l’eau de nos bidons s’est très vite élevée. A Villafranca de los Caballeros, un arrêt s’impose pour renouveler notre eau devenue trop chaude ; pourtant, pas très loin, une multitude de lagunas, petits lacs, s’étale autour du río Cigüela.
    L’odeur des cochons, à proximité des villages nous est maintenant devenue familière.

    La route est à nouveau rectiligne ; les étendues qui nous entourent sont plates mais parsemées ça et là de collines. Sur celle qui est tout au loin devant nous, on distingue des tâches blanches, serait-ce el Campo de Criptana ? Mais une importante bourgade nous apparaît, déposée de part et d’autre de notre chemin, blanche. Une verrue brun foncé, en plein centre, qui émerge au-dessus de la ligne blanche, dépare ce beau village de la Mancha qu’est Alcázar. On découvrira plus tard qu’il s’agit des bâtiments de l’hôpital !
    Nous venons d’entrer dans la provincia de Ciudad Real.
    Quelques coups de pédale de plus et nous entrons dans Alcázar ; il est dix-sept heures trente.


    1- riz au lait
    2- Je suis le deuxième Contreras
    3- discothèque


    Ils sont là, immobiles, tout de bronze fondus, les héros que Cervantès a lancés sur les chemins de la Manche, à hauteur d’homme, face à la grand place ; qui ne connaît pas l’ingénieux hidalgo et son fidèle serviteur ?
    Premier best-seller de l’édition et premier livre en castillan, Don Quichotte, après la Bible, a atteint paraît-il, le record absolu des tirages. Pourtant, une seule logique que celle qui guide Alonso Quijano, el caballero andante1, celle de la déraison…
    « Je ne veux pas suivre le commun usage… »
    J’ai hâte de suivre un peu de leurs errances.
    Mais auparavant, nous allons nous mettre à la recherche de l’abri pour la nuit, abri qui pourrait être l’hostal Numancia et dont j’ai l’adresse.
    La ville est paisible. Nous tournicotons, ou plus exactement tournons autour du pot, en l’occurrence autour de l’avenida de Criptana2 et de son numéro onze. Finalement, on décide d’abandonner l’idée de coucher au Numancia et on arrête nos tergiversations près d’une pension, à proximité de l’hôtel Don Quijote, où séjournait Marie-Louise, il y a six ans. Mais en fait, cette pension, devant laquelle on est passé plusieurs fois sans s’y arrêter, c’est bien l’hostal Numancia ! Nous ne voyions que le panonceau comportant un « P » et une étoile, caractéristique des pensiones et pas d’affichage Hostal Numancia !
    Le prix de la habitación doble est de trois mille huit cents pesetas, c’est raisonnable, mais il faudra lui ajouter quatre cents pesetas pour garer les deux vélos, ceux-ci occupant, d’après l’hôtelier, une place de voiture ! Décidément, ils sont futés à la ville ; un peu trop à mon goût, ces mercantis…
    Le parking est cette fois un garage attenant à l’hostal.
    Nous débâtons nos engins, déposons nos bagages promptement, et sus aux moulins ! Campo de Criptana se trouve à une douzaine de kilomètres.
    Nous sommes surpris par la soudaine légèreté de nos rossinantes efflanquées mais pour l’assaut que nous avons projeté, cela est de bon augure… d’autant que la route est un faux plat montant et qu’un vent de face nous freine.
    Une vision incongrue, sur notre droite, peu après Alcázar, que je veux vite oublier : des cuves avec l’inscription HCl, j’ai du mal à admettre mais peut-être ai-je la berlue, de l’acide ici, j’ai dû mal lire !
    Sur la colline là-bas, nos petits points blancs surmontés de leur minuscule chapeau noir ont grossi, on distingue pléthore de moulins alignés.

    « Ves allí, amigo Sancho Panza, donde se descubren treinta o pocos más desaforados gigantes, con quien pienso hacer batalla y quitarles a todos las vidas… »3

    « ¿Qué gigantes ? » dijo Sancho.4

    Aujourd’hui, ils sont une dizaine à coiffer la petite sierra qui domine les plaines environnantes, ils surplombent le pittoresque village de Campo de Criptana agrippé au flanc de la colline, village aux rues blanches, larges et pentues.


    1- le chevalier errant
    2- avenue de Criptana
    3- Regarde là-bas, ami Sancho Panza, où se découvrent trente ou quelque peu plus démesurés géants, avec lesquels je pense avoir combat et leur ôter la vie à tous…
    4- Quels géants ? dit Sancho

    Nous laissons les vélos à la Fuente del Caño, fontaine où il y a abondance de guêpes assoiffées, et pas âme qui vive. De là, nous gravissons le sommet de la colline. Le site est d’une beauté et d’une luminosité rares, les couleurs se marient divinement.
    Les ailes des moulins déployées face à l’immense Sud, scrutent l’horizon. Là, l’homme a su, avec parcimonie, en voulant l’utile, embellir une nature dénudée. Nous sommes bien petits au pied de ces bâtisses blanches capuchonnées de noir, sous ce ciel grand bleu de Castille ; mais l’air que l’on respire ici, fait de nous de bienheureux géants...
    On est ailleurs… et partout je mitraille…
    Cela ne se voit pas outre mesure, mais traînent çà et là, sous les herbes sèches, des débris de verre… C’est la première fois depuis le passage de la frontière que nous trouvons ce genre de souillure, trace de quelques désaxés qui ont aussi, dans ces lieux grandioses, droit de cité.

    Nous quittons le site et ses démesurés géants qui datent, pour les plus anciens, du seizième siècle. L’auteur de « El Quijote » s’inspira de l’endroit ; son héros, sous l’effet du délire, métamorphosa ces moulins à vent en géants pour les combattre et « leur ôter la vie à tous », et entra avec eux « en une furieuse et inégale bataille ».
    Aujourd’hui, « Infanto », « Burleta » et « Sardinero » conservent leurs structure et mécanismes originels et ont été déclarés monuments historiques ; un quatrième fait office de tourisme, les autres servent de musée.
    Nous donnons des éperons à nos montures pour regagner Alcázar. Cette fois, le vent nous est favorable.
    Nous sommes de retour à la pension à vingt heures ; je mets mon compteur à zéro, il a comptabilisé ce jour cent cinquante et un kilomètres, dont quelques errances.

    Pendant que Stéphane me succède dans la salle de bains, j’erre encore, en quête d’une cabine téléphonique, sur l’avenida de Criptana. Il y a affluence maintenant, il est l’heure.
    Et j’avance… en vain, chose inhabituelle en Espagne où les cabines prolifèrent ; lorsque j’aperçois un panneau indiquant « estación de ferrocarril »1 ; là, je trouve ce que je cherche. La gare est imposante, Alcázar est un grand nœud ferroviaire, elle est de plus très élégante.
    Je suis dans une des cabines, mais maintenant c’est ma dulcinée qui est aux abonnés absents… Mes tentatives n’aboutissent pas, ça sonne sur son portable mais la communication ne passe pas. Michèle et Aurélie ont entamé leur parcours ce matin pour Grenade, par l’autoroute qui longe la côte. J’essaye auprès du relais convenu, prévu dans ce cas. J’apprends par Attuech (beaux-parents dans le Gard) qu’elles sont à Salou et qu’arrivées tôt dans l’après-midi, elles ont pu jouer les naïades, sous les palmiers.

    Nous reviendrons dans le quartier de la gare tout à l’heure.

    Le patron du bistrot où nous savourons una cerveza était désolé quand il nous a servi ; il ne lui restait plus de verre réfrigéré ! Ici, on sert la bière dans des verres au préalable refroidis, pour la déguster très fraîche.
    El menú del día à mille pesetas, fera l’affaire ce soir, à la Casa Paco. Mais Stéphane qui n’a pas eu sa ration, complètera avec un bocadillo de chorizo. Le dîner sera plus calme que celui d’hier, à Tolède.

    1- gare

     

    De retour, le ciel de Castille est toujours aussi pur, il est constellé d’étoiles.

    Après le répit que l’on s’est accordé hier, aujourd’hui a été une nouvelle grande étape, toute la sainte journée sur la route…
    Mais qu’est ce qui nous fait pédaler ? Notre quête, c’est le voyage… modestement, courir le monde, comme le héros de Cervantès qui décide d’aller chercher l’aventure sur les plaines de sa Manche. C’est là, la vérité de Don Quichotte et non pas celle du pantin désarticulé que les ailes du moulin envoient rouler dans la poussière. Il persévère sans désemparer ; nous l’allons suivre, Grenade est devenue ce soir un peu plus accessible ; est-ce elle, notre quête ?
    Avant de m’endormir, je pense à « L’homme de la Mancha »…


    Rêver un impossible rêve
    Porter le chagrin des départs
    Brûler d’une possible fièvre
    Partir où personne ne part
    Aimer jusqu’à la déchirure
    Aimer, même trop, même mal,
    Tenter sans force et sans armure,
    D’atteindre l’inaccessible étoile
    Telle est ma quête,
    Suivre l’étoile
    Peu m’importent mes chances
    Peu m’importe le temps
    Ou ma désespérance
    Et puis lutter toujours
    Sans questions ni repos
    Se damner
    Pour l’or d’un mot d’amour
    Je ne sais si je serai ce héros
    Mais mon cœur serait tranquille
    Et les villes s’éclabousseraient de bleu
    Parce qu’un malheureux
    Brûle encore, bien qu’ayant tout brûlé
    Brûle encore, même trop, même mal
    Pour atteindre à s’en écarteler
    Pour atteindre l’inaccessible étoile


    Six pieds sous terre, Jacques, tu chantes encore.

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     Le Chevalier à la Triste Figure

     

    Pour demain, on a prévu une étape d’environ cent vingt kilomètres qui devrait nous conduire à Villamanrique… Mais demain est un autre jour et on ne sait jamais de quoi demain sera fait…

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

    Un château parmi les châteaux en Espagne.

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     

     

     

     

     

     

     

    Des oliviers grimpent dans un alignement parfait, sur un tapis brun rouge d'une grande netteté.

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     

     

     

     

     

     

     

     Consuegra est dominée par une colline aride.

                                                                               Mes paupières se plissent, le soleil est haut ;                                                                     une ombre naissante pour le repos de nos montures.

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     

     

     

     

     

     

     

    La grand place, à Alcázar de San Juan, qui ne connaît pas l'ingénieux hidalgo et son fidèle serviteur ?

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     

     

     

     

     

     

     

    On distingue pléthore de moulins alignés.               Le site est d'une beauté et d'une luminosité rares.

     

    Jeudi, 15 juin 2000. Où il est question d’ingénieux hidalgo, de quête, de démesurés géants, en des villages de la Manche, des noms desquels je ne peux pas ne pas me souvenir.

     L'air que l'on respire ici fait de nous de bienheureux géants... On est ailleurs... et partout je mitraille.

     

     

     

     

     


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