• Vendredi, 9 juin 2000. En descendant el Segre.

    J’enfile mon K-way. Il est huit heures quinze quand nous démarrons, sous un beau ciel bleu. L’air a été frais cette nuit, il l’est encore. Le petit déjeuner a été frugal, un bout de pain restant du pique-nique d’hier midi, conservé par Stéphane et un carré de chocolat.
    La nuit fut courte mais j’ai peut-être dormi plus profondément.
    Notre route est proche. L’Espagne est à nous ; cette journée, qui devrait nous conduire au moins à Serós qui se trouve à cent trente-cinq kilomètres, débute sous de bons auspices.
    La carretera C1313 et el Segre descendent de pair dans cette région de Catalogne qu’est la Noguera.
    La pente est peu accentuée ; nous n’avons plus, en ce début de matinée, notre bande réservée sur le bord de la route. Nous profitons de la belle finition du macadam et du peu de fréquentation des quatre roues, voire plus.
    Dans une nouvelle ouverture des montagnes, s’inscrit un petit bassin vert et bien cultivé, aux champs bordés de peupliers. Peu étendu, le lac du Grau de la Granta, ressemble à un large fleuve encaissé entre des falaises grises d’où jaillissent quelques cascades. La route le longe en corniche.
    Il suffit de passer le pont sur el Segre qui coule paisiblement au pied d’un barrage imposant, pour retrouver notre petite voie sécurisée par ses gendarmes en pointillés blancs. Notre bande de route s’est un peu élargie, nous prenons nos aises sur ses un mètre et vingt centimètres toujours aussi proprets. Passé le pont, l’eau s’éparpille, s’étale à perte de vue ; j’ai l’impression que la montagne n’est plus, que nous sommes dans la plaine.
    J’ai faux sur toute la ligne !
    Nous arrivons à Oliana ; à partir de là, s’étale la Pantá de Rialb, une grande retenue d’eau. Mais nous n’y sommes pas encore dans la plaine ; les pins et les chênes verts sont toujours là, et les Pyrénées catalanes aussi ; un trou noir devant nous, nous le rappelle. Cette fois, nous passons outre le panneau « Phares obligatoires », voyant l’autre bout du tunnel proche et l’absence de circulation.
    A nouveau, l’obscurité se profile sur notre chemin, mais cette fois, de façon plus effrayante. Nous équipons les vélos de toutes nos lumières.
    La route grimpe par moments ; dans l’interminable montée où plusieurs panneaux indiquent Noguera, passage obligé par mon 30x22. La descente est longue et droite aussi, l’ennui c’est qu’on y passe moins de temps que dans la grimpée, je laisse aller l’embarcation jusqu’à cinquante-cinq. Les lacets, dans la deuxième partie de la descente, m’incitent à plus de retenue, je me limite à quarante-cinq.

    Nous avons croisé quelques policiers dont des motards ; ils ne m’ont pas interpellé pour l’absence de protection sur ma tête.
    J’ai remarqué que les quelques gros bahuts passent très au large quand ils nous dépassent, nous roulons l’un derrière l’autre, sans sortir de la bande qui nous est réservée. Ils s’écartent de plus d’un mètre cinquante.
    Très peu de trafic sur cette route qui relie la France à Lerida, quelques camions et autocars sont apparus à partir de dix heures.
    Les premiers oliviers, juste avant Ponts, les premiers arbres fruitiers, pêchers et poiriers ; la plaine fertile, cette fois, ne doit plus être loin.
    Nous roulons depuis deux heures et quinze minutes lorsque nous entrons dans Ponts, il est dix heures trente, nous avons parcouru quarante-cinq kilomètres. Il est temps de reprendre des forces, aussi le premier bar à l’entrée du village est le bienvenu.
    Nous allons prendre notre premier casse-croûte, notre premier bocadillo ; il sera au bacon (ici, on a écrit beicon, cela doit faciliter la prononciation en anglais) avec des tomates. Una caña de cerveza1 est la boisson appropriée.
    Un type est entré dans le bar, costaud, cravaté, téléphone portable à la main, il demande un café. A peine bu, il en réclame un deuxième et sans l’attendre, se dirige vers la machine à sous. Quel bar, en Espagne, n’a pas son « bandit manchot », autre nom de ce genre de machine, en raison de la poignée à actionner ?
    La télé chahute déjà.
    L’accueil a été sympathique, les « adéu » fusent à nouveau.

    Un petit vent de travers gauche nous attend dehors, il est parfumé au cochon. Dix-huit millions de porcins peuplent l’Espagne, cela se sent de temps à autre, aux abords des villages souvent.
    Des nuages blancs encombrent le ciel, loin devant nous, sur la plaine.
    Des champs de blé – « De l’orge plutôt ! », me dit Stéphane – disons des cultures céréalières, loin sur les alentours ; puis des champs de maïs après Artesa de Segre ; nous battons la campagne…
    Nous avons fait un bon casse-croûte, pourtant nous mangeons encore un peu de notre pain noir sur cette route qui est censée descendre mais qui, pour nous contrarier, se plaît à passer par-dessus quelques collines. Quand je fais part de mon braquet de 30x22 à Stéphane que je vois constamment sur son grand plateau, il me réplique, pour me consoler, qu’il a utilisé une fois ou deux son plateau médian !
    Les deux ou trois villages entr’aperçus sont toujours perchés sur le sommet d’une hauteur. Là sur notre droite, je saisis sur ma pellicule le village de Foradada, du moins son versant sud ; à ses pieds, s’étalent, de part et d’autre de la route, des blés dorés.
    La C1313 ainsi que el Segre évitent Balaguer et c’est tant mieux, parce que bien évidemment, la ville domine la plaine, et le panneau sur la route qui y monte indique quatre kilomètres. Mais c’est dommage, car la ville est riche d’histoire, elle fut le dernier réduit du pays Al-Andalus et possède donc un long passé islamique.
    A l’approche de Balaguer, la circulation s’est amplifiée. Il est treize heures, je suppose qu’il est l’heure de la coupure méridienne et que nombre d’employés doivent arrêter le travail, principalement agricole.
    Je crois que nous n’irons pas plus loin que le prochain village, pour nous restaurer et puis ce soleil qui darde sur la route… Le vent d’est, sur notre gauche, souffle maintenant un peu plus fort.
    Trois kilomètres après Balaguer, la route est bien plate et le soleil bien chaud, un village à peine déporté sur notre gauche ; à la bifurcation, nous prenons vers celui-ci, Vallfogona de Balaguer.
    Il est l’heure de notre coupure, il est treize heures quinze ; mon compteur indique quatre-vingt-douze depuis ce matin. Cinq heures de selle, ça commence à cuire !

     1- Un demi de bière


    Je me mets illico en quête d’une pharmacie. Depuis hier, je traîne une petite gêne à mon œil gauche et cela me cause beaucoup de soucis, les compères-loriots ou orgelets étant assez familiers avec le bord de mes paupières ; à traiter de suite pour éviter les complications !
    Le village qui doit faire un peu plus de mille habitants, n’est pas bien grand, bien qu’assez étalé et la farmacía1 est vite trouvée. Parler bobo avec un pharmacien espagnol qui plus est catalan, va me poser problème. Je rentre, « Me duele el ojo. »2, dis-je, pour m’en sortir, en montrant mon œil. Il a bien compris, regarde de plus près ; sa prescription : des gouttes d’un antibiotique léger à mettre trois à quatre fois par jour pendant quarante-huit heures puis espacer.
    Dans la rue, nous avons du succès auprès d’un couple de personnes âgées,
    nous : « Somos Franceses, venimos de Marsella. »3,
    eux : « Tenemos familia en Mont-de-Marsan. »4.
    Nous cheminons, nos montures à nos côtés, dans les larges rues. La chaussée est revêtue de grandes dalles de béton, recouvertes de boue séchée. Des tracteurs sont garés avec leurs remorques chargées de paille. Le village est complètement campagnard ; ici, l’agriculture règne. Il semble avoir été construit pour !
    Pourtant, les deux restaurants sont bien trop chics pour nous, nous optons pour le petit bar Saymon.
    Nous commençons par un bocadillo à la tortilla5. L’omelette est servie entre deux tranches de pain, longues de vingt centimètres. Le second est au jamón6, celui-là est costaud aussi : quatre tranches de jambon cru sur chacune des deux tranches de pain !
    Nous sommes les seuls clients, en début de repas, puis à l’heure de notre café solo7, le bar se peuple ; les conversations sont catalanes.
    Le pépé du bar a lui aussi de la famille en France, à Toulouse.
    Et encore le chahut de la télé, avec Roland Garros ou bien du foot…
    Le sourire et l’amabilité sont de rigueur au bar Saymon, on en redemande. Les prix sont sympa aussi, nous avons fait un festin pour deux mille deux cents pesetas, soit quatre- vingt-huit francs les quatre sandwichs, les quatre bières, le café, l’eau, le tout pour deux bien entendu.
    Nous sortons du bar, il est quatorze heures trente.
    Le soleil est au zénith, les vélos toujours sur le trottoir. Stéphane se pommade, je vais en faire autant ; nous avons pris cette précaution ce matin également, bien nous en a pris ; ma pommade espagnole fort pigmentée a l’air efficace.
    Pendant que je prends en photo Stéphane se pommadant le menton, jugulaire du casque mise, la fille de la patronne du bar écarte les lanières du rideau et pointe son visage.
    Je fais mine de la prendre ; elle s’enfuit à l’intérieur. Elle en ressort peu après, avec un homme aux cheveux blancs, le grand-père probablement. Maintenant, mon appareil n’effraie plus la señorita8, je les fixe tous les deux, souriants, dans l’entrebâillement du rideau. Je leur réclame une carte, ils recevront cette photo.


    1- pharmacie
    2- J’ai mal à l’œil
    3- Nous sommes Français, nous venons de Marseille
    4- Nous avons de la famille à Mont-de-Marsan
    5- omelette
    6- jambon
    7- café noir
    8- jeune fille


    La C1313 est là, proche, nos deux roues ont repris leur place sur la piste qui leur est réservée.
    La région a été verdoyante jusqu’ici mais on sent bien, arrivés cette fois dans cette plaine maraîchère, que la sécheresse doit frapper en cette période estivale.
    Nous sommes sur une longue et interminable ligne droite, plate ; nous descendons très légèrement et allègrement vers Lerida, entre des cultures à perte de vue. Il n’y a pratiquement pas de circulation à cette heure-ci, c’est toujours la pause.
    J’ai tout le loisir d’étudier le comportement de cet « oiseau passereau à plumage noir bleuté et blanc et à longue queue », en bref de la pie, mais l’espagnole, qui folâtre sur la route. Je fais le constat qu’il est identique à celui de la française. Elle est tout autant intrépide, insolente et jacasseuse, mais je ne saurai jamais si le jacassement de la pie de Lerida est catalan ou bien espagnol.
    Au panneau indiquant « Lerida 7 km », les routes s’élargissent, se croisent, la C1313 se perd, la circulation s’intensifie.
    Nous entrons dans le « Polygon industrial »1, une odeur de chimie oubliée vient agresser mes narines. La grosse usine que longe la route doit produire des engrais, probablement pour les campagnes que nous venons de traverser. Le trafic est devenu dense, nous voilà mal à l’aise et aux aguets. Nous quittons heureusement assez vite ces boulevards extérieurs et la circulation infernale des abords de la ville. Il nous faut traverser Lerida d’est en ouest pour prendre la direction de Zaragoza. Direction centre ville, cela est plus calme, plus de poids lourds et la cité est tranquille à cette heure-ci. Les trottoirs sont très larges et des pistes cyclables y ont été aménagées ; en voilà une idée qui est bonne ! Par contre, je me fais rappeler à l’ordre lorsque je m’en écarte et que j’empiète sur le passage réservé aux piétons. Je me range pour faire plaisir au pépé qui m’a gentiment réprimandé mais j’en profite pour le questionner sur la petite route que je veux prendre pour sortir de Lerida.
    Il suffit de passer le pont sur el Segre, de longer la rive droite, de questionner plusieurs fois des passants qui passent pour se retrouver, après quelques hésitations, sur ma petite route. « ¿Por favor, la carretera de Alcarrás ? »2

    Quelques neuf kilomètres sur notre passage réservé, propre et large, une circulation peu intense, les automobiles ont préféré la grande nationale NII toute proche, et nous trouvons Alcarrás. Alcarrás est déserte, la ville dort ; pourquoi, je l’ignore. En France, il est l’heure du goûter et plus.
    Tout est fermé, les volets des habitations sont tous descendus ; les commerces, les bars, ne sont pas rouverts, sauf un, en bout du village, le nôtre. Halte-là, nous avons soif, besoin de repos aussi.
    Le chemin prévu après Alcarrás est une petite route proche du Segre, qui passe par Soses, Aitona, Serós, La Granja d’Escarp, et qui mène à Mequinenza.
    Cette route sur la carte m’avait l’air sympathique mais m’inquiétait toutefois car pas très prononcée sur le papier, se terminant même en pointillés après La Granja, et non numérotée ; j’avais des doutes sur sa praticabilité.

    La soif étanchée, je questionne le barman.


    1- Polygone industriel (en catalan)
    2- S’il vous plaît, la route d’Alcarrás ?

    « ¿ Se puede ir hasta La Granja y hasta Mequinenza por la pequeña carretera, en bicicleta ? »1
    Moi, je connais l’existence de Mequinenza, pas lui ! Il n’y est jamais allé et ne connaît pas non plus ; nous n’en sommes distants que d’une trentaine de kilomètres. Il appelle un client esseulé à l’autre bout du bar. Celui-ci, qui a enregistré ma question, en hochant la tête négativement, répond, avant qu’il ne lui repose la question : « Está muy mala. »2.
    Nous n’irons pas par ma route sympathique.
    Il va nous falloir retrouver les automobiles, sur les deux voies de la NII, la nationale de Zaragoza, jusqu’à Fraga et là, bifurquer vers Torrente de Cinca par la N211. Cela va nous rallonger.
    « ¡Vaya camiones ! »3
    Le trafic est impressionnant sur cette portion de NII que nous sommes obligés d’emprunter sur onze kilomètres. Heureusement, nous sommes à l’écart des trépidations de leur macadam, sur notre parcelle qui s’est élargie. Elle disparaît par ici un petit moment, nous pressons le pédalage et serrons les fesses. Nous la retrouvons par là. Pas question de s’entendre pédaler avec le bruit assourdissant des camions. J’ai l’impression que le souffle court des plus rapides et des plus gros me fait avancer plus vite. Plus on est de folles, plus on rit, les deux voies sont trois maintenant et nous voilà à l’extrême droite, comme si on allait nous aussi prendre l’autoroute ! Alors que c’est tout droit qu’on veut aller !
    Pas question de couper la bretelle de l’autoroute A2 que trop d’automobiles convoitent en ce moment ; je dis à Stéphane de continuer jusqu’au bout, on va attendre le dernier moment pour s’arrêter et traverser dans des conditions plus sûres.

    Une bonne côte avant Fraga, que je finis sur mon 30x20 ; au sommet, horreur, un tunnel ! En pleine plaine, une colline avec un tunnel, et deux cyclos à l’intérieur qui essayent d’en sortir le plus vite possible.
    La circulation se densifie dans Fraga. Sur le pont du río Cinca qui passe par là, un coup de klaxon me fait retourner. Il est destiné à Stéphane, qui vient de perdre son sac de couchage, il s’est heureusement retrouvé bien calé contre le trottoir.

    A la sortie de la ville, je blêmis, nous nous retrouvons cette fois dans un flot de véhicules sur quatre voies, heureusement sur celle de droite. Les panneaux aériens indiquent Huesca pour la nôtre, Zaragoza pour les deux du milieu et Mequinenza pour celle de gauche, notre direction. La cohabitation est trop dangereuse pour nos deux corps étrangers. Il nous faut faire preuve de ruses pour sortir de ce traquenard. Tous les camions sont au centre, direction Zaragoza, nous sommes sur la ligne Barcelone-Madrid.

    Sur la N211, nous retrouvons le calme ; on peut à nouveau découvrir le paysage, un paysage plus serein.
    Des vergers, en veux-tu, en voilà ! Etonnant, car les collines qui les bordent, côté ouest sont complètement désertiques et desséchées. L’eau du río Cinca doit suppléer l’eau de pluie.

     
    1- Est-il possible d’aller jusqu’à La Granja et jusqu’à Mequinenza par la petite route, en bicyclette ?
    2- Elle est très mauvaise
    3- Que de camions !


    Ici, on cueille déjà les pêches, elles sont plus en avance que celles des pêchers vus ce matin. Nous longeons poiriers, pommiers, et aussi cerisiers. Dans la matinée, nous avons pu voir différents niveaux de maturation des blés, entre le bas des Pyrénées et Balaguer où les moissons étaient déjà commencées.

    A Torrente de Cinca, alors que je mets pied à terre, Stéphane me propose d’arrêter là, les compteurs affichent cent cinquante, les jambes autant, et il doit juger mon état pitoyable. J’acquiesce bien volontiers.
    Nous avons vite fait le tour de ce petit village : pas d’hébergement possible ici !
    Nous n’avons pas le choix, il nous faut rallier Mequinenza, à quinze kilomètres, direction sud.
    Quinze kilomètres qui n’en finissent pas, même si la route est plate, car la fatigue et le vent qui se lève ne nous arrangent pas.
    Peu après le confluent du río Cinca et de el Segre, le lit s’élargit notablement. Et Mequinenza qui n’arrive pas...
    Des deux côtés de la route, pas très loin, des hauteurs desséchées semblent nous épier.
    Je termine mon troisième bidon d’eau, c’est le premier jour où trois bidons m’ont été nécessaires ; jusqu’à maintenant, mes deux trois quarts de litre suffisaient. Aujourd’hui, l’étape a été longue et chaude.
    Le panneau Mequinenza surgit, comme une délivrance.
    Contre un mur de soutènement, j’appuie mon vélo ; je veux prendre en photo ce panneau tant attendu.
    La ville s’étire le long du large lit qu’ont formé les deux fleuves. Au centre, j’aperçois l’hostal 1 Rodés, noté sur ma feuille de route, il affiche une étoile. Deux pépés sur le trottoir m’indiquent que, plus loin dans la rue, il y a una pensión2 ; on va déjà demander les prix ici. La propriétaire a des chambres libres, elle nous propose una habitación doble con baño3 à cinq mille cinq cents pesetas.
    « Es demasiado caro para nosotros. »4, ose-je lui dire !
    Elle m’en propose une sans salle de bains, celle-ci n’est pas loin dans le couloir, c’est la porte en face de la chambre, à quatre mille cinq cents. C’est OK pour nous ; à deux, on s’en sort bien et quel luxe, il y a un lavabo, la télé et la climatisation ! Pour ce qui est de cette dernière, je m’empresse de vérifier qu’elle ne fonctionne pas.

    En Espagne, les hôtels les moins chers sont les fondas, qui font la restauration, puis viennent les casas de huéspedes et posadas, les hospedajes et les pensiones qui ne font pas toujours pension complète et qui souvent ne servent pas le petit déjeuner. Les hostales et les residencias sont bon marché aussi, les hoteles sont plus chers et peuvent être classés avec cinq étoiles. Les paradores ne sont pas pour nous ; ils sont situés dans des sites exceptionnels (les Parador sont luxueux et appartiennent à l’Etat).

    Une trop longue étape encore aujourd’hui : cent soixante-six kilomètres et neuf heures de selle, il va falloir arrêter cette cadence si on veut aller jusqu’au bout, sans casse.
    Il est dix-neuf heures quinze.


    1- un hostal n’est pas tout à fait un hôtel mais ça y ressemble beaucoup
    2- une pension
    3- une chambre double avec salle de bains
    4- C’est trop cher pour nous


    L’hôtelière nous a fait ranger nos vélos dans une pièce adjacente à la cuisine, entre du linge étendu et des réserves de victuailles. Nous passons par la cuisine pour regagner le hall d’entrée.
    En Espagne, il y a obligation de laisser sa carte d’identité à la réception, Stéphane laisse la sienne.

    La douche a levé un peu de fatigue, nous voilà plus frais. J’entends pétarader les pétrolettes dans la rue ; ce soir, on sera moins au calme que la nuit précédente, du moins le crois-je !
    Pour nous remettre complètement, il faut maintenant aller nous rassasier quelque part. Au bout de la grand-rue, nous trouvons un petit restaurant, c’est l’endroit que nous ont indiqué tout à l’heure les pépés, il s’agit bien d’une pensión. Nous optons pour le menú del día1 à mille cent pesetas. Il y a peu de monde dans la salle, mais déjà trop de fumeurs, dont deux pépés fumeurs de gros cigares.
    Sopa2 pour Stéphane, ensalada mixta3 pour moi, puis lomo de cerdo con patatas fritas y pimientos 4 pour les deux. Après ça, Stéphane me dit qu’il a encore faim ! Je demande s’il est possible d’avoir des pâtes : « ¿ Hay pastas ? »5.
    « ¡ No hay ! »6 ( à prononcer « Noailles », comme le bien connu quartier marseillais).
    Je lui suggère alors una tortilla con patatas7 ; ça le calera définitivement pour ce soir.

    A la télé, on présente la météo. Demain en Aragon, où nous sommes, le programme est peu ragoûtant. Orages violents, foudre, sont annoncés ; des recommandations sont données, on parle de tormenta8. Par contre, pour dimanche, les conditions devraient être meilleures. Cet après-midi, j’ai noté que les nuages prenaient de plus en plus de place dans le ciel, surtout vers l’ouest, notre direction. Les sommets, lointains, n’étaient pas très clairs.
    La salle se peuple beaucoup plus entre vingt-deux et vingt-deux heures trente. A vingt- deux heures, le film à la télé a commencé : « La ventana de enfrente » con Christopher Reeve9. Stéphane fait les comptes : un quart d’heure de film, un quart d’heure de publicité…
    Les deux pépés et leurs gros cigares sont maintenant affairés aux machines à sous. J’espère qu’ils en ont plein leurs poches, des pièces ; je les préfère là-bas !
    Tout le tour de la salle, près du plafond, dans leurs cages de verre, des monstres d’eau douce, bien vernis, veillent. Plus bas, sur les murs, des pêcheurs s’amusent ; c’est à celui qui montrera la plus grosse pièce, qui son silure, qui sa carpe, qui son brochet ou son « black bass » (perche américaine) comme ils ont ici.
    Mequinenza est au confluent du río Cinca, de el Segre, et du río Ebro. Un barrage construit entre 1957 et 1964 a formé un gigantesque lac artificiel appelé Mar de Aragón qui s’étire sur plus de soixante kilomètres. Plus en aval, un autre barrage a formé la retenue d’eau de Riba-roja. Mequinenza est un lieu privilégié pour les sports nautiques, dont la pêche.

    1- menu du jour
    2- potage
    3- salade mixte
    4- filet de porc avec pommes de terre frites et poivrons
    5- Y a-t-il des pâtes ?
    6- Il n’y en a pas !
    7- une omelette aux pommes de terre
    8- tempête
    9- « La fenêtre d’en face » avec Christopher Reeve


    Au plus fort du brouhaha du restau et du bar, de la télé, des machines à sous et des conversations, nous n’avons rien capté de l’extérieur.
    Lorsque nous sortons, vers vingt-trois heures, une désagréable surprise nous attend dehors. Il pleut, il tonne ; des éclairs illuminent les nuages noirs.
    Le mauvais temps a commencé avant l’heure prévue par la météo ! C’est peut-être bon pour nous, si la tormenta, comme ils disent, est en avance sur les prédictions ! Cette nuit, il peut pleuvoir sur les trottoirs des grands boulevards de Mequinenza, mais pas demain… L’hôtel est à l’autre bout de la rue, et il nous faut le regagner maintenant ! Décidément, comme sports nautiques, ici, on a le choix, ou pas ! On accélère, en rasant les murs ; on ralentit, sous les arcades ; mais à l’arrivée, nous sommes plutôt humides.
    Dans le hall de l’hôtel, le canari panique dans sa cage, il a l’air tout affolé ; sont-ce les éclairs ?
    De notre chambre, au deuxième étage, nous l’entendons piailler. Par contre, les pétrolettes, sous ce déluge, ne pétaradent plus.
    Je mets mes gouttes, j’en ai mis plusieurs fois dans l’après-midi ; mon œil a l’air d’aller mieux...

    Nous avons rencontré encore aujourd’hui des gens pleins de bonnes intentions, prêts à rendre service ; ils nous ont tous renseignés aimablement, en s’inquiétant même de notre sort de cyclos itinérants.
    Quel sera-t-il demain ? Mais demain est un autre jour…

    J’ai eu le bonjour de Roger ce soir, il a demandé de nos nouvelles à Michèle…

     

    Vendredi, 9 juin 2000. En descendant el Segre.

    La route le longe en corniche.

     

    Vendredi, 9 juin 2000. En descendant el Segre.

    Je saisis sur ma pellicule le village de Foradada, du moins son versant sud ; à ses pieds, s’étalent, de part et d’autre de la route, des blés dorés.

     

    Vendredi, 9 juin 2000. En descendant el Segre.

    Vallfogona de Balaguer, nous cheminons vers le bar Saymon.

     

    Vendredi, 9 juin 2000. En descendant el Segre.

    Maintenant, mon appareil n’effraie plus la señorita...

     

    Vendredi, 9 juin 2000. En descendant el Segre.

    Stéphane se pommadant ; le menton y a droit !

     

    Vendredi, 9 juin 2000. En descendant el Segre.

    Il nous faut traverser Lerida d’est en ouest  ; d'abord franchir el Segre.

     

    Vendredi, 9 juin 2000. En descendant el Segre.

    Direction centre ville, de larges trottoirs, des pistes cyclables y ont été aménagées.

     

    Vendredi, 9 juin 2000. En descendant el Segre.

    Fraga, sur le pont du río Cinca, coup de klaxon derrière nous, Stéphane vient de perdre son sac de couchage !

     

    Vendredi, 9 juin 2000. En descendant el Segre.

    Contre un mur de soutènement j'appuie mon vélo, je saisis ce panneau tant attendu... après neuf heures de selle sur ma monture ; une trop longue étape.


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